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Barnabé Rudge

Barnabé Rudge

Titel: Barnabé Rudge Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles Dickens
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sur ses bâtons, et saisir la vision,
vision fugitive mais éternelle, de l'heureux visage qui était
dedans ; quels tourments, quel surcroît de souffrance, et
néanmoins quelles délices ! les porteurs eux-mêmes semblèrent
à ses yeux jaloux des rivaux favorisés, quand il les vit descendre
la rue avec elle.
    Il n'y eut jamais dans une petite pièce, en un
court espace de temps, un changement comparable à celui de la salle
à manger, lorsqu'on revint finir le thé. C'était sombre, c'était
désert, c'était un complet désenchantement. Joe trouvait que
c'était sottise pure de rester là tranquillement assis, tandis
qu'elle était au bal avec un nombre incalculable d'amants qui
voltigeaient autour d'elle, et toute la société raffolant d'elle,
et l'adorant, et voulant l'épouser en masse ; et Miggs qui
était là, à voltiger autour de la table. Le fait seul de son
existence, le simple phénomène qu'elle eût pu jamais naître, lui
paraissait, auprès de Dolly, une plaisanterie inexplicable et sans
but. Impossible de parler, pas moyen d'y réussir. Il n'était
capable que de remuer son thé avec sa cuiller tout autour, tout
autour, tout autour, en ruminant sur toutes les fascinations de
l'aimable fille du serrurier.
    Gabriel aussi était taciturne. Or, c'était un
des côtés certains de l'incertaine humeur de Mme Varden,
qu'elle se montrât vive et gaie quand elle voyait aux autres des
dispositions contraires.
    « Il faut que je sois naturellement d'une
bien heureuse humeur, dit la souriante ménagère, pour conserver
avec tout ça un peu d'entrain ; comment fais-je pour en avoir
encore ? je n'en sais en vérité rien.
    – Ah ! mame, soupira Miggs, je vous
demande pardon de vous interrompre, mais il n'y en a pas beaucoup
comme vous.
    – Emportez tout cela, Miggs, dit
Mme Varden en se levant, emportez tout cela. Je vois bien que
je gêne ici ; et, comme je désire que chacun ait le plus
d'agrément qu'il peut, je sens que je ferai mieux de m'en
aller.
    – Non, non, Marthe, cria le serrurier.
Demeurez ici ; nous serions, ma foi, très fâchés de vous
perdre : n'est-ce pas, Joe ? »
    Joe tressaillit et dit :
« Certainement. »
    – Je vous remercie, mon cher Varden,
répliqua sa femme, mais je connais vos goûts : le tabac, la
bière, les spiritueux, ont de plus grandes séductions qu'aucune de
celles dont je peux me vanter. Je vais m'en aller, je vais monter
m'asseoir là-haut et regarder à la fenêtre, mon amour. Bonsoir,
monsieur Joseph ; je suis très contente de vous avoir vu, je
regrette seulement de n'avoir pas eu à vous offrir quelque chose de
plus à votre goût. Rappelez-moi affectueusement, s'il vous plaît,
au souvenir de M. Willet père, et dites-lui que, quand il
viendra par ici, nous aurons une fusée à démêler ensemble.
Bonsoir. »
    Après avoir prononcé ces paroles avec une
extrême douceur de manières, la bonne dame fit une révérence pleine
de condescendance, et se retira avec sérénité.
    C'était donc pour cela que Joe avait attendu
le 25 mars pendant des semaines, bien des semaines, et qu'il avait
cueilli les fleurs avec tant de soin, et qu'il avait retroussé son
chapeau, et qu'il s'était fait si pimpant ! c'était donc là
qu'aboutissait toute sa résolution hardie, prise pour la centième
fois, de faire sa déclaration à Dolly, et de lui dire combien il
l'aimait ! La voir une minute, rien qu'une minute ; la
trouver partant pour une soirée, et toute joyeuse d'y aller ;
se voir traité comme un culotteur de pipes, un buveur de bière, un
gobelotteur de spiritueux, en un mot, comme un ivrogne ! Il
dit adieu à son ami le serrurier, et se hâta d'aller reprendre son
cheval au Lion noir. Lorsqu'il tourna bride vers la maison, il
pensait, comme maint autre Joe l'avait pensé avant et l'a pensé
depuis, que c'en était fait de toutes ses espérances ; que
c'était chose impossible et sans espoir ; qu'elle ne
s'occupait pas plus de lui que s'il n'existait pas ; qu'il
était malheureux pour la vie, et qu'il n'avait plus qu'une seule
perspective acceptable : c'était de devenir soldat ou marin,
et de trouver quelque ennemi assez obligeant pour lui faire sauter
la cervelle aussitôt que possible.

Chapitre 14
     
    Joe Willet ne chevaucha pas vite le long de la
route : car, dans son désespoir, il se représentait la fille
du serrurier dansant de longues contredanses et de terribles
branles avec de hardis étrangers, image intolérable,

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