Barnabé Rudge
et
après, mais pas tout de suite, il commença à le tirer des
cachettes, morceau par morceau, et à le manger avec la plus grande
volupté.
Barnabé, pour sa part, ayant pressé sa mère de
souper, mais en vain, soupa comme Grip, de bon cœur. Une fois, dans
le cours de son repas, il lui fallut encore du pain, et il se leva
pour en prendre dans le cabinet. Elle se précipita au devant,
l’empêcha d'y entrer, et appelant à soi tout son courage, elle
entra dans le réduit, et rapporta le pain elle-même.
« Mère, dit Barnabé en la regardant
fixement lorsqu'elle s'assit près de lui à son retour du cabinet,
c'est aujourd'hui l’anniversaire de ma naissance.
– Aujourd’hui ! répondit-elle ;
ne vous souvenez vous pas que c'était il n’y a pas plus de huit
jours, et que l'été, l'automne, l'hiver devront s'écouler avant
qu'il revienne ?
– Je me souviens que c'était comme cela
jusqu'à présent, dit Barnabé, mais je crois que, malgré tout, c’est
aujourd’hui aussi l'anniversaire de ma naissance. » Elle lui
demanda pourquoi. « Je vais vous dire pourquoi, dit-il. Je
vous ai toujours vue, je ne vous l'ai pas laissé remarquer, mais
rien n’est plus vrai, devenir, le soir de ce jour-là, d'une extrême
tristesse, je vous ai vue pleurer quand Grip et moi nous étions
fort joyeux, et avoir l’air effrayé sans aucun motif, et j'ai
touché votre main et j’ai senti qu’elle était froide comme elle
l'est à présent. Une fois, mère (c’était aussi un des anniversaires
de ma naissance), Grip et moi pensâmes à cette tristesse après être
montés nous coucher, et passé minuit, au moment où sonnait une
heure, nous descendîmes à votre porte pour voir si vous n'étiez pas
malade, vous étiez à genoux. Je ne me souviens pas de ce que vous
disiez, Grip, qu'est-ce que nous avons entendu dire cette
nuit-là ?
– Je suis un démon ! répliqua
promptement le corbeau.
– Non, non, dit Barnabé, mais vous disiez
quelque chose dans une prière, et quand vous vous relevâtes et
fîtes plusieurs pas autour de la chambre, vous aviez (comme vous
l’avez toujours eue depuis, mère, quand approche la nuit de
l'anniversaire de ma naissance) juste la physionomie que vous avez
à présent. J'ai découvert cela, vous voyez, quoique je sois un
insensé. Je dis donc que vous êtes dans l’erreur, et ce doit être
aujourd’hui l’anniversaire de ma naissance, mon anniversaire de
naissance, Grip ! »
L'oiseau accueillit cette communication avec
de tels croassements qu'un coq, doué de plus d'intelligence que
tous ceux de son espèce, n'annoncerait pas le plus long jour par un
chant plus soutenu. Puis, après avoir bien réfléchi pour dégoiser,
en guise de toast, la phrase qu'il jugeait la plus convenable pour
fêter un anniversaire de naissance, il cria plusieurs fois :
« N'aie pas peur ! » et il accentua ces mots en
battant des ailes.
La veuve essaya de paraître attacher peu
d'importance à la remarque de Barnabé, et chercha à reporter
l'attention de son fils sur quelque autre sujet, tâche toujours
facile, elle le savait trop bien. Son souper fini, Barnabé, sans
tenir compte des instances de sa mère, s'étendit sur le paillasson
devant le feu ; Grip se percha sur la jambe de son maître, et
partagea son temps entre des assoupissements causés par l'agréable
chaleur, et des efforts (comme il le parut bientôt) pour se
rappeler un nouvel exercice qu'il avait étudié toute la
journée.
Un long et profond silence suivit, silence
interrompu seulement lorsque changeait de position Barnabé, dont
les yeux, encore tout grands ouverts, regardaient fixement le
feu ; ou lorsqu'il y avait quelque effort mnémonique [18] de la part de Grip, qui criait de temps
en temps à voix basse : « Polly mettez le bouilli… »
et s'arrêtait court, oubliant le reste et faisant un nouveau
somme.
Après un long intervalle, la respiration de
Barnabé devint plus profonde et plus régulière, et ses yeux
finirent par se fermer. Mais ce n'était pas le compte de l'esprit
inquiet du corbeau. « Polly mettez la bouill… » cria
Grip, et son maître fut encore réveillé cette fois.
Enfin Barnabé s'endormit solidement, et
l'oiseau, avec son bec affaissé sur sa poitrine, qui prit la forme
bouffante d'une confortable bedaine d'alderman [19] , et
ses yeux brillants qui devenaient de plus en plus petits, parut
véritablement s'abandonner aussi au repos. De temps en temps
seulement il marmottait
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