Bataillon de marche
prisonniers. Ils le savaient, aussi ne désertaient-ils jamais. D’ailleurs, si malgré tout l’envie leur en prenait, la famille du déserteur était aussitôt arrêtée, et ces voyous eux-mêmes n’entendaient pas qu’il arrivât malheur à leurs familles.
Olga regardait Petit-Frère. Ce gorille ne devait tout de même pas avoir une famille ? Quatre fois déjà il avait menacé de l’étrangler, et s’il connaissait son secret il le ferait sans hésiter. Quelles mains ! On pouvait étrangler un éléphant avec ces mains-là ! Et qu’il était laid ! Mieux valait se montrer gracieuse, peut-être pouvait-on l’adoucir.
Heide interrompit le cours de ses pensées.
– Olga, grosse merde, j’ai une idée. Déshabille-toi, on veut te voir à poil.
Une fille brune, juchée au haut d’une armoire où l’avait posée Petit-Frère, cria à tue-tête :
– Il faut lui mettre la peau d’ours, pas autre chose.
Olga lui jeta un rapide coup d’œil. « Nelly va faire
des siennes », pensa-t-elle. Elle n’aurait jamais dû garder cette Belge. En souriant, elle dit suavement :
– Ne crie donc pas comme ça, petite Nelly. Pas d’histoires.
Nelly riait et chatouillait le cou de Petit-Frère de son orteil nu.
– C’est une salope ! Emmenez-la quand vous partirez !
Petit-Frère se tourna vers Olga :
– Où est l’ours ? Je le veux. Je l’emporterai au front pour ne pas geler comme l’hiver dernier.
Nelly sauta au bas de l’armoire et chuchota quelque chose à l’oreille de Petit-Frère qui éclata de rire.
– Nelly, tu es merveilleuse ; si tous les Belges sont comme toi, j’irai en Belgique. Olga, vache primée, jette tes nippes et montre tes fesses. J’ai depuis longtemps envie de voir un cul comme le tien !
Porta riait bruyamment :
– Par saint Moïse, à poil l A poil ! La peau d’ours doit être portée directement sur la couenne !
Olga protestait violemment :
– Vous devez être fous !
– Attention, prévint Nelly, elle va se débiner !
– Personne ne se débine sans ma permission, déclara Petit-Frère, et un croc-en-jambe brutal fit choir Olga sur le ventre de Heide.
Petit-Frère la saisit aux chevilles et se mit à lui faire faire la roue. C’étaient deux cent cinquante-trois livres de chair vive qu’il balançait. Pendant ce temps, nous chantions en chœur, accompagnés au piano par le lieutenant hongrois.
– Lâchez-moi ! lâchez-moi ! hurlait Olga.
– Tout pour les dames ! rigola Petit-Frère en la lâchant brutalement.
Elle partit comme une roquette à travers la pièce, renversa trois tables, Heide et deux filles, comme un jeu de quilles, et s’effondra dans le piano avec un bruit harmonieux. Le lieutenant, sans sourciller, passa à une autre mélodie.
Lentement, Olga, se releva, courbatue, douloureuse, étouffant de rage.
– Vous me le paierez, cochons !
Petit-Frère et Annie s’étaient assis par terre et jouaient aux dés avec des soldats bulgares. Annie portait le col d’un matelot en guise de soutien-gorge. Le « Professeur » s’approcha, très nerveux. Il eut un salut raide pour Annie. Ses yeux clignaient derrière ses grosses lunettes. Il avala, son visage s’empourpra, il toussa timidement et dit enfin :
– Je m’excuse, mademoiselle, de mon indiscrétion, mais voulez-vous être à moi ?
Petit-Frère en oublia de jeter les dés et regarda le « Professeur », la bouche ouverte. Annie prit une lampée de la bouteille de vodka :
– Tu t’es pas regardé, idiot ! Moi, on me viole ou on va au diable !
Le « Professeur » s’éloigna en titubant et se réfugia dans le jardin près de l’âne. Barcelona Blom, qui se penchait à la fenêtre, vomissait.
La noire Nelly changea soudain de place. Elle s’installa entre Alte et le légionnaire et se mit à parler. Ce qu’elle disait paraissait au plus haut point intéresser le légionnaire. De temps en temps, il frottait sa balafre. Olga, de son coin, les épiait avec inquiétude. Les yeux du légionnaire s’étaient rétrécis et devenaient méchants en écoutant le long discours de Nelly. Le Vieux avait repoussé son calot noir ; il fumait avec énergie. De lourds nuages de fumée montaient au plafond.
Olga commença lentement à manœuvrer pour gagner la porte. Il était grand temps. Cette salope de Nelly, qu’est-ce qu’elle pouvait raconter ?… Et ce légionnaire ! Un voyou du désert, mais dangereux ; un sale type qui ne
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