Bataillon de marche
pas compte à quel point je l’avais.
Il sourit à Porta, lequel se penchait par-dessus le grand poêle pour voir le jeune artilleur qui devait être mort. Fjodor hocha la tête :
– Tovaritch Paulssyn !.
– Je me suis agenouillé près du fumier comme l’avaient fait les autres ; 21 y avait trois poules Manches qui picoraient et un coq tout ébouriffé.
– Curieux qu’on remarque ces choses juste à ce moment-là, dit Heide. Trois poules blanches et un coq en colère !
– Ils m’ont poussé un peu en avant, pas brutalement, presque amicalement. L’Ivan qui tirait sur nous n’était pas content de la manière dont je tenais ma tête, comme parfois le coiffeur quand il passe la tondeuse. J’ai senti la bouche du revolver dans le creux de ma nuque. – Il montrait l’endroit du doigt. – Vous n’avez pas idée de ce que ça a pu me faire mal à la tête.
– Pas étonnant, dit Petit-Frère. – Il remonta ses longs pantalons noirs et montra une cicatrice rouge qui rayait sa jambe jusqu’au genou. – C’est un nègre français qui m’a fait ça du côté d’Arles, avec sa baïonnette, juste avant que je ne lui en foute une sur la gueule avec ma pelle. Tu peux me croire que ça m’a fait mal ! Ce que j’ai gueulé ! On a dû m’entendre jusqu’à Paris.
– J’ai essayé de me relever… J’aurais mieux fait de me tenir tranquille car j’ai cru que j’allais exploser. Quelque part, très loin, j’entendais des coups de fusil mais tout m’était égal, j’étais si fatigué, si fatigué… Je fermai les yeux et je m’évanouis. Le monde entier s’arrêta. Plus tard, ce qui m’a le plus étonné, c’était de voir les autres. Ils étaient tous là, le sous-officier Tauber, Willy, tous les douze, et si différents d’avant, lorsqu’ils couraient partout ! Je ne sais pas si vous pouvez comprendre ce que je veux dire.
– Oui, intervint Petit-Frère. Comme des ballons dont le gaz est sorti ; il y avait bien les enveloppes mais dégonflées.
– Quelque chose dans ce genre-là, acquiesça Paul. C’étaient bien les mêmes qui se trouvaient là avec un trou dans la nuque et ce n’étaient pas eux. – Il secoua tristement la tête. – Je me suis senti si seul que j’aurais voulu être mort comme les copains, mais je me suis relevé, j’ai rampé, et je me suis éloigné ; je me suis caché jusqu’à ce qu’il fasse tout à fait nuit, puis je suis tombé sur Fjodor et quelques autres qui ont crié de peur en me voyant ; j’étais horrible, du sang partout. Us m’ont pris pour Satan lui-même.
– Ou un revenant, marmonna Petit-Frère.
– Puis Fjodor et ses compagnons se demandèrent tout de même quelle était cette chose qu’ils avaient vue ramper ; donc ils reviennent, et m’ont piqué de leur kandra sans que ça me fasse grand-chose. – Il eut un rire las. – Les hommes supportent beaucoup… Ils m’emmenèrent jusqu’à leur village où nous sommes maintenant. Un type qui avait l’air d’être un médecin a farfouillé dans ma tête ; ça m’a fait encore plus mal que lorsqu’ils m’ont sonné ; avec des ciseaux, il a retiré la balle.
– Des ciseaux ! s’exclama Barcelona.
– Oui, des ciseaux tout ordinaires pour couper du fil ; ce n’est pas nécessaire d’avoir des instruments très chers pour sauver la vie des gens comme nous. Le médecin ne me dit pas un mot : j’étais un animal quelconque, je pouvais vivre ou crever.
– Et il ne t’a rien fait flairer avant de te charcuter ?
– Non. On m’avait attaché à la table avec une longe de vache ; j’étais sur le ventre. Quand il a fini, on m’a caché dans une grange et les femmes m’apportaient à manger.
– Qu’est-ce que c’est que cette langue bizarre qu’ils parlent ici ? demanda Heide.
– C’est le turc.
– Le turc ! criâmes-nous tous en même temps. Ça, alors ! Mais où donc est-ce qu’on est ?
– Pas très loin de la frontière turque.
– Sainte Mère de Kazan ! cria Petit-Frère. J’en deviens dingue. Ou bien vous mentez tous, ou bien on a battu le record mondial de vitesse. Un moment on est au Caucase, après en Afrique, puis en Chine avec des chameaux sauvages, et maintenant en Turquie ! – Il se pencha vers le petit artilleur qui était assis par terre entre le « Professeur » et Fjodor. – Dis-moi, puceau, à quelle heure le prochain train du soir pour Hambourg-
Altona ? C’est le seul endroit du monde qui
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