Bataillon de marche
vous trouverez plus facilement une jolie chanson.
Le bidon fit quatre fois le tour de l’assistance ; les visages s’allumaient, nos rires s’entendaient au loin ; la voix gloussante de Porta perçait la nuit comme une vrille.
– Chantons Je suis né dans un bordel, proposa-t-il en se grattant entre les jambes.
– Cochon ! gronda le lieutenant Ohlsen.
– Très juste, avoua Porta. Un, deux, trois, on y va…
La chanson ordurière déclencha l’euphorie générale ;
le bidon de vodka circulait ; Porta s’essuya la bouche du revers de la main et rota bruyamment.
– Si seulement on amenait un train de putains ici, rêva Petit-Frère.
– Pas de putains en ce moment, elles ont leurs ceintures de chasteté. Ici, on a droit à du plomb dans le cul de la part des putains à Ivan.
– Qu’est-ce que c’est qu’une ceinture de chasteté ? demanda Petit-Frère qui s’envoyait lampée sur lampée.
– Une espèce de culotte avec cadenas, expliqua Porta. On s’en servait autrefois contre les cochons comme toi.
La vodka, en nous réchauffant, faisait bouillonner les cervelles.
– Tout ce qui se présente devant moi sera fusillé, hoquetait Julius Heide. Tué comme un chien. Je hais ces Russes qui puent.
– Heil ! Nazi Julius, tu combats pour Adolf et son espace vital, nasilla Porta en crachant vers Heide.
– Sale bouc ! rugit Heide en jetant un manche de grenade à la tête de Porta. Qui est-ce que tu traites de nazi, vermine socialiste ?
– La paix, la paix ! commanda le lieutenant d’une voix lasse d’ivrogne.
Peine perdue. En un instant, c’est une mêlée furieuse de bras et de jambes. Petit-Frère profite de ce que Porta est occupé ailleurs pour siffler le bidon de vodka. Un rot roulant lui échappe ; il ramasse une pelle de fantassin et en abat le plat sur la nuque de Heide qui s’écroule. Porta donne un coup de pied au corps inanimé.
– Chien merdeux ! dit-il, haletant. Attaquer un pauvre être pacifique dans un bois tranquille, quelle saleté !…
– Moi, je donne raison à Heide, interrompit Steiner.
Moi aussi, je hais les Russes. Quand on voit ce qu’ils peuvent inventer pour torturer les prisonniers !
– On ne peut haïr tout un peuple pour les horreurs de quelques-uns, dit Ohlsen. Les Anglais qui m’ont chassé comme un lièvre, en 41, dans les montagnes de Macédoine, je ne les hais pas.
– Eux ne tuaient pas les prisonniers d’une balle dans la nuque ! crie Steiner irrité.
– Et alors ? protesta Barcelona. Tu aurais dû être en Afrique ; je l’ai vu de mes yeux, comment ils ont descendu deux des nôtres quand ils ont fui la Cyrénaïque !
– En tout cas, pour nous, c’est la mort en héros avec ou sans haine, résuma Alte.
– Bravo ! dit Heide qui se relevait. Et surtout crever selon le règlement. – Il jeta un regard noir à Petit-Frère qui fumait, assis en tailleur. – Assassin ! Abattre un camarade d’un coup de pelle ! Tu aurais pu me tuer.
– Haine ou pas haine, reprit Barcelona, le principal c’est d’être le plus vite ; tirez comme l’éclair si vous tenez à la vie.
– Parole sage, gloussa Porta. Ça, je peux te l’assurer, amateur d’oranges.
Le « Professeur » ouvrit la bouche :
– J’ai tué l’autre jour neuf Russes, dit-il en devenant cramoisi sous les regards convergents. Ce n’était même pas de ma faute… – Dans son émoi, il retira ses grosses lunettes et ferma à demi ses yeux de myope comme pour ne plus nous voir. – Ils couraient tout droit sur mon fusil mitrailleur, tout droit dans les balles. Je n’en haïssais aucun, vraiment pas, vous pouvez me croire. – Il hésita un instant, puis continua presque en criant : – J’ai tiré de peur.
– Personne n’en doute, volontaire SS ! dirent Heide et Porta en éclatant de rire. Tu ne dois même pas être sevré, mais, bon Dieu, qu’est-ce qui te forçait à venir ?
– Merde de sujet, confia Petit-Frère à Porta. On se croirait parmi des savants. Si on causait d’autre chose ?
– De putains, pour changer ? gloussa Porta. De réchauffe-plumards avec des dentelles autour des cuisses et du machin. De temps en temps, mon garçon, un peu de conversation intelligente ne fait pas de mal.
– Pisse là-dessus l cria Petit-Frère. Buvons plutôt. Pense donc ! Si on reçoit un pruneau avant d’avoir vidé le bidon ! Mon vieux s’est saoulé à seize ans, continua-t-il, et il n’a plus jamais
Weitere Kostenlose Bücher