Bataillon de marche
roulent à notre rencontre.
A coups d’éclatements sauvages, des dépôts de munitions sautent ; des torches qui sont des maisons en feu éclairent notre route. Un double barrage défend le chemin ; deux canons PAK sont mis en bouillie, en une seconde plus de barrage.
Une bétonnière de cinquante tonnes a été renversée sur une batterie de mortiers qu’elle écrase, et un capitaine russe, les jambes broyées sous la machine, hurle, la bouche grande ouverte. Partout de l’équipement jeté çà et là ; des soldats et des chevaux morts, des voitures renversées, des hommes, des bêtes, tout un chaos de sang et de charbon.
On écrase tout sans y penser ; quelques blessés essaient de ramper plus loin, avant d’être happés par les chenilles. Une pluie fine de cendres vient à notre rencontre. Elle pénètre partout, apporte avec elle une chaleur d’enfer, il semble que nous traversions un four crématoire. Haletants, nous pressons nos bras sur nos visages, mais c’est bien pis pour les fantassins ; ils crient de douleur, reculent, jettent leurs armes, et se prennent la tête entre les mains.
Il est passé, l’ouragan de feu. Nous sommes au cœur de la ville, dans une danse de mort. Un colonel d’infanterie nous hurle des menaces rageuses. Le lourd moteur ronfle, une flamme de plusieurs mètres sort du tuyau d’échappement. En avant ! Nous volons.
Le 62 tonnes d’acier est jeté contre une maison qui craque et s’ouvre comme un fruit. Dans un lit, entre deux femmes mortes, une petite fille crie, terrorisée ; elle porte une chemise de nuit à raies rouges et, dans ses cheveux, un ruban défait. Porta ne réussit pas à freiner. Le lit, les murs, tout y passe. La scène a eu lieu à la vitesse de l’éclair. Personne ne dit rien… Nous nous mentons les uns aux autres par le silence. Personne n’osera dire ce que nous avons vu. Ce n’est pas de la guerre, c’est de l’assassinat. Personne n’en parlera jamais.
La population de la ville a tout perdu. Des objets misérables s’éparpillent en épaves pulvérisées, carbonisées. Au milieu d’un amas de bois qui constituait des meubles se tient une vieille femme, les cheveux en désordre, et des brûlures aux bras et aux jambes. Elle n’a plus qu’un seul soulier, et elle fixe, pétrifiée, les gros chars aux canons de six mètres de long. Sur le chemin, trois civils morts. L’un d’eux a les bras en croix ; c’est un vieillard. Dans un arbre, le corps d’un enfant tué et le cadavre d’un fantassin allemand ; le sang coule en jets rythmés sur le sable, du sang chaud et rouge.
Sans savoir pourquoi, nous nous arrêtons au milieu de la rue, près d’une petite place ornée d’un vieux puits. Un fantassin allemand pisse dans le puits ; la courroie de son casque pend en collier autour de son visage, son fusil mitrailleur le gêne ; il a dû se retenir longtemps, car il pisse indéfiniment. Nous le regardons en silence comme s’il faisait quelque chose de très curieux. Pourquoi souiller l’eau potable ? Il ne le sait pas lui-même. Quand c’est fini, il semble soupirer d’aise. C’est un homme de plus de quarante ans, un simple soldat sans décorations ; seule, la médaille du fantassin, comme pour des milliers et des milliers d’autres, est accrochée à sa capote.
De l’autre côté du puits, un petit enfant joue dans sable. Le fantassin se penche et l’aide à construire son château de sable. Il se redresse, s’étire, replace plus commodément son IMG sur l’épaule, nous fait un signe, sort une cigarette de sa poche, l’allume et traverse lentement la place. Il se retourne, revient sur ses pas et jette quelque chose au gosse qui le met avidement dans sa bouche.
Le soldat tire une ou deux longues et bonnes bouffées de sa cigarette. Au même instant, il se casse en deux, tombe, agite furieusement les jambes… le sang lui sort à flots de Ha bouche. L’enfant se lève et fait quelques pas en courant. Un cri, et il tombe à côté du soldat.
Nous n’avons pas entendu venir la grenade de mortier 37 millimètres. Elle a fait peu de poussière en éclatant. Très peu de poussière qui s’évapore dans le puits, la poussière d une aile d’ange.
Quelques poules sortent, et se mettent à gratter la terre là où est tombée la grenade ; elles se battent pour un ver de terre.
Les grenadiers se rassemblent, l’attaque continue. Sous le couvert du tir de chars, ils avancent. Le feu croisé est
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