Bataillon de marche
cuisse !
– Ce revolver est celui d’un officier, lui avait dit l’instructeur, le dernier jour, à l’Ecole militaire. Si quelque individu salissait votre honneur d’officier, ne discutez pas mais servez-vous-en.
Il avait ri et presque souhaité que quelqu’un lui manquât de respect. Ça ferait rudement sauter les passants si lui, le lieutenant d’artillerie Heinz Berner, tirait son revolver et descendait un type qui, par exemple, aurait manqué de respect au Führer. Il se voyait remettant l’arme dans son étui d’un air indifférent. Peut-être devrait-il aussi cracher sur le porc étendu sur la chaussée ? Il prendrait ensuite le bras d’Else et s’en irait comme si le reste ne le concernait plus. Mais personne autour de lui ne songeait à insulter le Führer, et l’on ne voyait que des croix gammées aux boutonnières.
Son père lui avait fait cadeau d’une nouvelle casquette, avec des cordons rouges gros comme le doigt, et la plus belle mentonnière d’argent de toute l’armée. Les culottes de cheval gris clair étaient un cadeau de sa mère, – presque trop claires pour être réglementaires ; les éperons d’argent à chaînette, un cadeau d’Else. La cravache jaune clair d’un mètre cinquante de long, il l’avait achetée lui-même. En réalité, il appartenait à l’artillerie lourde motorisée, régiment 76, à Paderhorn, et il n’avait aucun droit aux éperons et à la cravache ; mais ici, à Hambourg, peu de chances de rencontrer quelqu’un du régiment ! Et qui sait ? Les camarades se promenaient peut-être aussi avec une cravache et des éperons lorsqu’ils étaient en permission. Quel bruit agréable que ce cliquetis d’éperons, et comme ça vous rendait élégant tous ces objets qui appartenaient en fait aux régiments montés. Mais aussi, que diable, pourquoi n’appartenait-il pas à un régiment monté ? Il aurait pu mettre de la peau de cerf foncée sur le fond de sa culotte, et se faire faire un spencer avec des poches en biais. Ces tenues de cavalerie étaient épatantes. Mais il fallait bien se contenter de la cravache et des éperons.
Que cette soirée était donc pénible. La maison pleine d’invités et l’oncle Ernst qui criait à sa bruyante habitude :
– Dis donc, Heinz, depuis quand as-tu été muté à l’artillerie montée ?
Avant qu’il ait pu répondre, Else avait dit très haut :
– Heinz est nommé au régiment d’artillerie de campagne « Grande Allemagne ».
– Vraiment ? cria l’onde Ernst en riant et en montrant les pattes d’épaules où se lisait le numéro 76. Alors le chiffre de tes pattes d’épaules est faux, mon garçon !
Elle avait regardé, très étonné :
– Tu es bien au régiment a Grande Allemagne », n’est-ce pas ?
Il avait hoché la tête.
– Bien, avait dit Else. Alors demain à la première heure, il va falloir que tu fasses changer tes pattes d’épaules.
Le lendemain, ils étaient allés à la maison Fahnenfleck pour y acheter les deux lettres dorées : G. D., et on les avait cousues sur les pattes d’épaules pour témoigner qu’il appartenait au régiment de la garde Grossdeutschland. Les numéros étaient au fond de sa poche, pour être remis en place après sa permission. Mais chaque fois qu’on apercevait de loin un officier d’artillerie, il tournait le visage de l’autre côté de peur d’être reconnu, et »lors des patrouilles de la Feldgendarmerie il était presque mort de peur. Cette plaisanterie pouvait lui coûter six semaines d’arrêts de rigueur, et une promenade dans un régiment disciplinaire.
Quelque part, dans la prison, quelqu’un cria. C’était un cri long et perçant qui se termina dans un râle. Le cri ne pénétra pas dans son cerveau. Le lieutenant était prostré sur la table rabotée, la tête dans ses bras. Il pensait à ces lettres, de grandes lettres dorées artistement entrelacées. Elles pouvaient lui valoir le régiment disciplinaire ? Le 37 e d’artillerie, ou le 17 e , quelque chose avec un sept. Qu’était-ce donc qu’on appelait le régiment des « sous-hommes » de Dortmund ? Les types sur lesquels on crachait. Il les avait méprisés, ces éléments criminels, indignes de respirer dans le même lieu que les vrais soldats, mais dignes ou indignes, il ne demandait rien d’autre, sinon d’entrer dans les régiments disciplinaires de Dortmund. Là, on avait encore une chance. Il se montrerait courageux pour le quitter
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