Bataillon de marche
entendît était le froissement du papier lorsque Dorn tournait les pages de cet intéressant dossier gekados. Il leva enfin les yeux, plissa ses paupières et fixa l’homme aux menottes. Sans un mot, il tendit la main vers Schmidt, lequel, en silence, lui remit les papiers du prisonnier.
Dorn les jeta nonchalamment sur la table, repoussa sa chaise et se leva ; il fit le tour de la table et se planta devant le prisonnier.
– Eh bien ? Ne serait-ce pas intéressant d’avoir la confirmation de votre présence à Torgau ?
Le prisonnier se mit au garde-à-vous, petit doigt sur la couture du pantalon.
– Lieutenant Heinz Berner, 76 e régiment d’artillerie, se présente pour accomplir sa peine dans la prison militaire de Torgau.
Le Hauptfeldwebel Dorn mit sa main derrière son oreille comme s’il était sourd et resta ainsi quelques minutes ; puis il ouvrit la bouche et cria dans l’espace :
– Et pourquoi, si je puis le demander ? – Le hurlement devint un chuchotement. – C’est sans doute gedakos la raison pour laquelle vous avez à purger une peine chez nous, cochon !
– Le lieutenant Heinz Berner, 76 e régiment d’artillerie, fait son rapport : j’ai été condamné à mort pour meurtre.
– Voyez-vous ça ? dit Dorn en souriant. Un officier assassin ! – Il cracha bruyamment. – Quelle horreur ! Le lieutenant nous confiera peut-être qui fut la victime ?
– Ma fiancée, répondit le prisonnier.
Dorn hennit, très satisfait :
– C’est ce que j’ai entendu de mieux depuis longtemps. Refroidir son propre plumard ! Eh bien, mais tu la suivras bientôt. Je vais veiller à ce que tes papiers soient expédiés en express. Des bandits comme toi, on n’en a pas besoin. Ici, c’est une prison militaire convenable, mets-toi ça dans la cervelle, assassin !
Tout à coup, les yeux de Dorn se voilèrent, se rétrécirent. Il s’assit sur le coin de la table et laissa une de ses jambes se balancer :
– Dis -moi donc, fit-il doucement et en appuyant sur « les mots, ne sais-tu pas quel est mon grade ? Tu n’as jamais vu un Hauptfeldwebel, la colonne vertébrale de l’armée allemande en paix comme en guerre ?
Le prisonnier tressaillit, mais avant qu’il ait pu placer un mot, Dorn hurla :
– A terre ! Vingt tours sur la ceinture ! Sautez !
Le prisonnier se mit à sauter à croupetons à travers le bureau. Chaque fois qu’il tombait à cause de ses menottes, Dorn criait au refus d’obéissance. Puis il chassa le prisonnier en haut d’une armoire où il lui fallut rester vingt minutes tassé sur lui-même, pendant que Dorn s’entretenait avec les deux gardes-chiourme. Enfin, un 2 e classe reçut l’ordre d’emmener le prisonnier.
Au troisième étage, le lieutenant Berner fut enfermé dans une cellule de trois mètres de long sur un mètre cinquante de large ; il eut l’impression qu’un étau lui enserrait le corps. Se laissant tomber lourdement sur l’escabeau de bois, il s’effondra dans un sanglot nerveux et pleura beaucoup. Tout était fini pour lui ; il était déjà mort. La plupart de ses amis l’avaient renié. A chaque instant la porte pouvait s’ouvrir, il verrait luire les casques d’acier menaçants, on viendrait le chercher, on allait le conduire quelque part, hors des bâtiments, il entendrait le déclic des fusils qu’on arme. Combien y en aurait-il ? Six, disait-on, peut-être douze.. Le lieutenant frémit et se remit à sangloter.
Il était arrivé chez lui, en permission, venant de la 3 e Ecole militaire de Potsdam. C’était la permission accordée pour la promotion de lieutenant. La sortie de l’Ecole. Sa mère était si fière de lui, son père tellement content ! Leur fils était lieutenant. Lieutenant d’artillerie. Toute la famille avait été le chercher à la gare centrale et Else aussi était tellement fière ! Ils étaient partis se promener sur la Monckebergstrasse, et s’étaient mirés dans les grandes vitrines de l’Alsternhaus où se reflétaient comme un sourire les belles fourragères rouges de son uniforme. On rencontrait une quantité ahurissante de sous-officiers et de soldats. Saluer finissait par faire mal au bras, mais c’était tout de même enivrant. Il s’était permis un vrai salut nonchalant d’officier, comme celui du capitaine Hasse, deux doigts légèrement courbés touchant la visière de la casquette. Et quelle sensation agréable que le frôlement léger du revolver contre sa
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