Bataillon de marche
l’Assomption de la Sainte Vierge ?
– Quoi ? (Le pasteur devint cramoisi.) Vous moquez-vous, blasphémateur ?
– Hérode était un cochon, affirma Petit-Frère. Et saint Bernard buvait dans la neige du schnaps à un petit baril.
Cette érudition religieuse était destinée, pensait-il, à épater l’aumônier.
– Etes-vous devenu fou ? s’écria celui-ci. (Il fit visiblement un grand effort et reprit avec douceur :) Voyons, soldat, pourquoi me dire tout cela ?
Petit-Frère était tout sourire :
– Quand j’étais un petit gosse, dit-il – et de la main il indiquait combien il était petit – je désirais beaucoup entrer dans le couvent des saintes Ursuîines d’Eger, parce qu’on disait qu’elles conservaient quelques litres du lait de la Sainte Vierge ; et comme Jésus était né depuis déjà pas (mal de temps, vous pouvez imaginer que j’avais envie de savoir à quoi pouvait ressembler ce lait.
– En voilà assez ! cria l’aumônier en redressant son baudrier. Votre nom, Obergefreiter ?
– Au rapport, Wolfgang Creutzfeld, 27 e régiment de chars, 1 er bataillon, 5 e compagnie, (pour le moment en service à la prison militaire de Torgau, section C. Pour plus de commodité, mes camarades m’appellent Petit-Frère.
Et le géant se pencha très intéressé, en suivant des yeux ce qu’écrivait le pasteur dans un petit livre. D’un claquement sec, l’aumônier referma le livre, et nous vîmes avec stupeur que c’était le Livre des Psaumes qu’il employait comme carnet de notes. Son regard nous voua à la vindicte du Seigneur, puis il se dirigea vers une cellule, suivi d’un dernier message spirituel de Petit-Frère :
– Monsieur l’aumônier, je fais mon rapport. Avant la bataille je me confie en tout au Saint-Esprit.
Le prêtre eut un haut-le-corps et faillit tomber. Il en oublia complètement ce qu’il était venu faire, de sorte que le Stabswachtmeister Kraus, de la Schutzpolizei, fut exécuté sans soutien religieux. Kraus n’en avait d ailleurs pas demandé.
– Mort à Hitler ! furent ses dernières paroles.
L’histoire valut à Petit-Frère huit jours d’arrêts de rigueur. Trois jours après sa libération, il se saoula copieusement en compagnie de Porta, et tous deux,
Jern Gustav – Gustav de Fer – appartenait depuis trente et un ans au corps des sous-officiers, et il était depuis vingt-huit ans gardien-chef à la prison militaire.
– Vous êtes un exemple pour tous les sous-officiers de notre invincible armée, avait dit le Hauptfeldwebel Dorn, au cours d’un discours dédié à Jern Gustav.
Mais Jern Gustav se fit assassiner à l’étage inférieur et comble de déshonneur, par un prisonnier. Dorn fit enlever son nom du tableau d’honneur des sous-officiers et jeta l’étiquette à la poubelle. Il se lava ensuite les mains en maudissant copieusement ce crétin. On brûla tout ce qui appartenait au défunt. Rien ne devait rappeler ce mauvais camarade qui s’était laissé étrangler par un prisonnier, cet imbécile égaré dans le corps glorieux des sous-officiers lequel était, comme tout le monde le savait, l’épine dorsale de l’armée allemande.
Les seuls objets que conserva Dorn furent deux bouteilles de vodka et quatre bouteilles de cognac. Il les confisqua en tant que propriété de l’Etat et les enferma sous les yeux du secrétaire en chef, le Stabsgefreiter Krone.
– Ces bouteilles sont une preuve éclatante du manque de conscience de Jern Gustav. Il n’aurait jamais pu les avoir d’une façon réglementaire.
Le soir même, Dorn ouvrit l’armoire et Renvoya une des bouteilles de cognac. Perdu dans ses pensées, il fuma coup sur coup quatre des cigares du major, des cigares brésiliens à bague rouge.
L’ASSASSINAT DE JERN GUSTAV
C’ETAIT un matin glacial enveloppé d’un brouillard mouillé. Dans la cour de la prison, les prisonniers couraient en rond pour se réchauffer. Alte, appuyé contre une porte, regardait les prisonniers.
Le Vieux permettait toujours – bien que le règlement l’interdît – que l’on fumât pendant la promenade. Il regardait d’un œil las les soixante-sept candidats à la mort qui couraient en rond dans la cour.
Tout à fait dans le coin, vers l’entrée de la vieille cour des douches, maintenant désaffectées à cause de la guerre et des effectifs pléthoriques de la prison militaire, se tenait à l’écart de tous le feldwebe Lindenberg. Lui, il regardait le
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