Bataillon de marche
ciel dont les nuages laissaient filtrer de temps à autre un rayon de soleil. Sa main dissimulait une cigarette que Porta lui avait donnée. Ce cadeau pouvait valoir au donateur soixante jours d’arrêts dans le noir.
Les autres prisonniers lui jetaient des regards obliques. La nouvelle s’était propagée : c’était pour demain matin. On savait qu’il avait reçu l’ange de la mort hier après-midi, et l’horaire de service portait : « 1er section, 2 e groupe, se trouvera à la réception d’armes vendredi matin à 4 h 15 d . Ça signifiait dix balles pour chacun, des balles à tête ronde. Personne ne pouvait dire pourquoi on employait de vieilles balles à têtes rondes pour les exécutions.
Le lieutenant d’artillerie qui avait étranglé sa fiancée frissonna. Il était maintenant à Torgau depuis quatre semaines, et chaque jour pouvait lui amener la visite de l’ange de la mort. Alors il ne lui resterait plus que 36 heures à vivre. Aucune puissance sur terre n’y changerait rien. L’ange de la mort était le point final. A ce moment-là, vos papiers revenus de l’instance se trouvaient sur le bureau du Hauptfelwebel Dorn dans line chemise rose, parfaitement en ordre et contresignés comme il est de règle dans l’administration militaire.
Le jeune lieutenant d’artillerie savait maintenant bien des choses dont il ne se doutait guère avant d’arriver à Torgau. Il savait où on les fusillait. C’était la compagnie de garde du régiment de chars qui se chargeait des exécutions. Il aurait pu raconter des tas de choses sur la mort au poteau, des choses que personne n’apprenait à l’Ecole militaire.
Il s’assit par terre près du jeune Landeschutze qui était en prison depuis plus de six mois, avec deux recours en grâce rejetés ; une troisième demande était en cours. On semblait s’amuser à des demandes de grâce pour ce naïf paysan du Mecklembourg qui avait passé les dix-huit ans de sa vie avec des vaches. Il avait été très étonné d’être appelé un jour à un régiment de la territoriale muni d’un grand numéro, et ne comprenait pas qu’il ne pouvait revenir à la ferme où sa présence était si utile en ces labours de printemps.
Un vendredi soir, il quitta k caserne emportant son fusil et son équipement. Chez lui, il emballa le tout et le mit au grenier, bien caché derrière des pommes de terre. Les gendarmes n’eurent aucun mal à le retrouver. Il les accueillit tout joyeux, dans la grange où il remettait une tonne en état
– Grtiss Gott, dit-ü (Dieu soit béni. Salutation courante en Bavière).
– Heil Hitler ! répondit le feildwebel qui conduisait la patrouille. Nous voudrions parler à Kurt Schwartz. Est-ce vous ?
– Oui, c’est moi, mais faites vite. Il peut pleuvoir et j’ai du travail pressé.
Les gendarmes se regardèrent. Ce n’était pas banal.
– Il faut nous suivre, dit le gendarme. Le conseil de guerre se languit de vous.
– Le conseil de guerre ? demanda Kurt étonné. En quoi ça me concerne ?
Le feldwebel mit la main sur l’épaule du paysan :
– Pas de salade, Kurt. Si tu essaies de fuir, nous tirons. Où as-tu caché ton fusil ?
Kurt commença à s’inquiéter. Les quatre hommes casqués d’acier, l’insigne brillant sur la poitrine, tout cela le mettait mal à l’aise. Il n’aurait peut-être pas dû partir sans dire au revoir. Lui, le capitaine était un brave type.. ; il avait dû le fâcher. C’était mieux d’aller avec eux et de leur expliquer que le travail de printemps n’attend pas. Mais de toute façon, il tairait l’endroit où il avait caché le fusil. Ce devait être cela qui les mettait en rogne ; depuis la guerre, on avait besoin des armes contre les Rouges. Il alla vers la voiture sans résistance.
– Fieffé imbécile ! dit le feldwebel. Pourquoi as-tu foutu le camp ? Dis-nous au moins où as-tu caché ton canon ? Ça sera meilleur pour toi.
Kuirt ne les crut pas. Il ne comprenait pas la fine nuance entre l’absence sans permission ou la désertion. La première signifiait prison et régiment disciplinaire, l’autre la mort.
Et maintenant il était à Torgau et attendait la mort comme les soixante-six prisonniers, avec un avantage toutefois sur les autres : il ne se rendait toujours pas compte qu’on allait le fusiller, et chaque fois que Petit-Frère ouvrait la porte pour la promenade, il demandait :
– Ça y est ?
Et Petit-Frère répondait
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