Bataillon de marche
toujours :
– C’est pas pour aujourd’hui.
Kurt pensait à son retour ; Petit-Frère au poteau.
Près du mur courait un Oberleutnant blond, très décoré. Il était ici depuis deux mois. Lors d’un bombardement de Berlin, il avait perdu sa famille : sa femme et trois enfants brûlés vifs dans une cave où avait coulé du phosphore. On lui refusa une permission. Alors il se fabriqua lui-même les papiers nécessaires et rentra chez lui, mais à Berlin, les gendarmes l’attendaient. Il fallut neuf minutes au conseil de guerre pour régler son sort : désertion, falsification de documents, peine de mort.
Sur les marches de l’escalier, un vieux lieutenant-colonel aspirait les rares rayons du soleil. Malgré les ordres venus d’en haut, il avait fait évacuer à son régiment des positions débordées par les Russes. Conseil de guerre, lâcheté, sabotage, peine de mort.
Alte lui toucha l’épaule :
– Il y a une visite, mon colonel.
– Pour moi ? murmura le vieil homme étonné.
– Oui, dit Alte en souriant, votre épouse.
– Ma femme !
– Oui, mon colonel, suivez le gefreiter. Il vous accompagne au parloir.
Blanc comme un linge et tremblant de tous ses membres, le vieil officier tituba derrière le soldat. Ils s’arrêtèrent près du bureau. Le Hauptfeldwebel Dorn en sortit et regarda le prisonnier avec condescendance.
– C’est délicieux de revoir des jupes, hein, grand-père ? Mais regardez-les bien, car c’est la dernière fois, je vous le garantis.
Il fit signe au gefreiter indiquant qu’il pouvait emmener le prisonnier au parloir. Silencieux, les deux hommes prirent le couloir sous le regard observateur de Dorn.
Toutes les raisons d’être condamné à mort étaient représentées à Torgau. L’un avait commis un vol pendant la défense passive ; deux autres étaient assassins ; le grand maigre, soldat des pionniers, qui bavardait avec Petit-Frère, avait battu à mort son chef de compagnie. Mutinerie, douze balles.
– Est-ce que ça ne vous est pas désagréable de nous fusiller alors que vous nous connaissez ? demanda l’officier de cavalerie à Julius Heide.
– Pourquoi cette question, imbécile ?
– Parce que ça m’intéresse. Au front, je m’en foutais quand mon lance-flammes faisait roussir les collègues, mais je ne les connaissais pas. Ici, en taule, c’est tout autre chose. – Il repoussa son calot sur sa nuque. – Vous autres, copains, vous nous donnez à bouffer ; vous êtes avec nous contre les salauds, Jern Gustav et les autres. Et vous savez parfaitement que c’est vous qui allez nous tuer. Je me suis donc demandé quel effet ça vous fait.
– Tu en as des questions ! cria Heide visiblement démonté. Qu’est-ce que ça te fout, ce qu’on ressent ? Est-ce que je te demande ce que tu Tossens, toi ?
– Tu le peux, dit doucement le cavalier. J’ai peur. Une peur bleue. Il y a des jours où j’ai envie de me cogner la tête contre le mur. Chaque matin, au réveil, un diable me chuchote : « Aujourd’hui, c’est le jour. » Même au front, je n’ai jamais eu aussi peur.
– Tu ne peux pas te taire, non ? cria Heide hors de lui. Je ne veux rien en savoir de ta peur. Je ne te connais pas, je ne veux pas te connaître.
– Si, tu me connais camarade, insistait le cavalier. Et tu ne m’oublieras jamais, ni moi, ni les esclaves de Torgau.
– Jésus-Christ ! tonnait Heide. Tu es un vrai disque de phono. Allons, viens plutôt jouer aux dés pour oublier ta peur.
– Crois-tu que c’est pour bientôt ? continua l’homme. – Il avait des frissons nerveux sur les lèvres.
– -Comment veux-tu que je le sache ?
Côte à côte, ils allèrent vers les douches désaffectées où l’on pouvait se dissimuler ; et peu après arriva Porta avec deux autres prisonniers. On entendait de temps en temps un cri de joie lorsque l’un d’eux avait fait cameron. Ils jouaient des cigarettes, du tabac, des bouts de crayon. Un trésor dans une prison.
Le sifflet d’Alte interrompit le jeu. L’heure précieuse était passée. Les candidats à la mort se mirent en file par deux.
Au même instant, apparut Jern Gustav – le feldwebel de la section – dans l’encadrement de la porte qui menait à la prison. En silence, il écouta le rapport du Vieux. Ses petits yeux perçants coururent le long de la colonne. Sur sa poitrine gris clair brillait la croix du Mérite de 1er classe, remerciement de l’Etat pour de
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