Bataillon de marche
était un toc . Lentement, la vie quitta le garde-chiourme haï.
– Tu seras mort avant moi ! gronda Lindenberg en resserrant son étreinte.
Petit-Frère qui se trouvait au troisième étage entendit le tintement des clefs et le bruit de la chute des deux hommes. Il jeta un coup d’œil par-dessus la balustrade et se rendit immédiatement compte de ce qui se passait en bas. Presque sans bruit, il courut à la salle d’outillage où Heide et Portia jouaient aux dés.
– Grouillez-vous de faire du potin ! dit-il très excité. Lindenberg est en train de refroidir Jem Gustav !
Un instant, ils regardèrent Petit-Frère d’un air hébété, puis un tintamarre du diable se fit entendre ; Porta renversa deux seaux, le géant cognait sur la porte avec des clefs, Heide tira toutes les chasses d’eau des cabinets ce qui amena des cataractes.
– Je pense qu’il a dû écraser la punaise, dit Porta en jetant un coup d’œil précautionneux en bas.
Lindenberg était assis sur la poitrine de Jern Gustav dont les yeux jaillissaient hors de leurs orbites. Le visage était bleu. Le gardien Dürer venait de terminer sa vingt-huitième année de service à la prison, et jamais plus il ne rendrait un prisonnier estropié à force de coups, jamais plus il ne doucherait d’eau glacée ses pensionnaires.
Lentement, le feldwebel Lindenberg se leva. Il rectifia nerveusement sa tenue, leva les yeux, et vit les trois soldats qui le regardaient en silence par-dessus la rampe. Du bout de son pied, il poussa la masse étendue, sans arriver à comprendre que ce corps recroquevillé avait été, quelques minutes plus tôt, une brute exécrée. Et voilà que le monstre était mort, étranglé par un prisonnier qui n’avait que seize heures à vivre.
Le feldwebel Lindenberg ramassa le trousseau de clefs, et, les épaules un peu voûtées, monta lentement l’escalier.
– Je l’ai étranglé, dit-il à Porta en lui tendant le trousseau.
– On te remercie, camarade, dit Petit-Frère avec une bourrade affectueuse. Mais tu vas la sentir passer.
– Il va falloir te signaler, dit Heide. Tu dois bien le comprendre. Il faut te dénoncer à Dorn.
– Vous y êtes bien obligés. Ne pensez pas à moi.
– Nous ne t’oublierons jamais, camarade. On devrait te gracier pour avoir bousillé ce salaud.
Lindenberg eut un rire las et rentra dans sa cellule, puis il se retourna et regarda Heide.
– Il vaut mieux que vous vous dépêchiez de me signaler, sans ça il y aura des histoires.
– C’est probablement mieux, dit Porta. Il a raison. Julius, tu es sous-officier vaguemestre, c’est à toi d’y aller.
– Non, vas-y toi, rétorqua Heide. Je ne dois pas quitter le poste, tu le sais bien.
– Alors, envoie Petit-Frère, dit Porta.
– Tu parles ! cria le géant. Moi, j’ai rien vu, ne sais rien de rien, pas de Lindenberg dans mon couloir !
– Ça ne prend pas, ricana Porta, tu as vu qu’il lui a sauté dessus.
– Ta gueule ! Si je raconte le boucan que vous avez fait pour qu’on n’entende pas que le Gustav passait l’arme à gauche, alors tu te balanceras. Moi, on dit que je suis demeuré, mais pas vous. Vous les normaux, vous y perdrez la bille.
– Suffit ! cria Heide en se gonflant comme un sous-officier qu’il était. Je t’ordonne d’aller sur-le-champ annoncer au Hauptfeldwebel Dom que Gustav a damec.
– Tu peux péter dans ton cou, gloussa Petit-Frère sans l’ombre de respect. Ça me fait rigoler.
Sa science militaire était courte et claire : « Evite les supérieurs, n’arrive jamais avant au moins trois appels. » Il eut un clin d’œil vers Heide qui le regardait furieux, ne sachant pas lui-même œ qu’il fallait faire devant ce refus d’obéissance. Il mourait d’envie de boxer son inférieur mais se disait que ce geste équivalait à un suicide.
Petit-Frère renifla bruyamment, et expulsa pardessus la rampe tout le contenu de son nez qui atteignit avec précision l’extincteur accroché dans le couloir opposé.
– Ça alors ! dit Heide en tirant sur sa tunique. –
S’agissait-il de l’adresse de Petit-Frère ou de la destruction de la discipline, on ne le sut jamais.
– Finis donc de gueuler comme tu fais, dit Petit-Frère. Tu vois bien qu’y a un macchabée.
– Espèce de cul ! cria Heide hors de lui. On ne peut tout de même pas laisser cette merde de cadavre flotter cent sept ans en bas !
– Pourquoi pas ? demanda le géant d’un air
Weitere Kostenlose Bücher