Bataillon de marche
imbécile, tu auras de quoi réfléchir »
– Mon commandant, le Stabsfeldwebel Gustav Dürer a été étranglé par un prisonnier, le feldwebel Lindenberg. La mort est survenue il y a peu de temps. Le cadavre se trouve dans le couloir du bloc 6. – Sans interruption, il continua : – Les machines à écrire ont été nettoyées sur l’ordre du colonel. Les tiroirs des bureaux frottés de talc. Sur le bureau de mon commandant se trouvent deux dossiers de prisonniers. Il n’y a pas eu de libération. Une affaire en instance d’exécution attend votre signature. Les listes d’inventaire de couverts et autres inventaires attendent également une signature. A part cela rien de particulier à signaler. La garnison se compose de la compagnie de garde du 2T régiment de chars, 160 soldats, 15 sous-officiers, un Obergefreiter porté malade mais faisant son service : diarrhée.
Dorn claqua encore une fois des talons et regarda le major. Le major le regardait. Il s’essuyait le front d’un mouchoir blanc comme neige, ses bottes craquaient comme si elles se rendaient compte, elles aussi, des nuages qui s’amoncelaient à l’horizon.
– Mon cher Dorn, venez donc dans mon bureau, il faut voir ça de plus près. Le Stabsfeldwebel assassiné ? C’est épouvantable. Que de choses pareilles puissent arriver dans une prison civilisée… Inimaginable. Mais vous devez vous tromper, mon cher Dorn.
– Non, mon commandant, cria Dorn. Cette tr… – Il allait dire « truie rayée », mais put s’arrêter à temps. – Ce bandit de Lindenberg a avoué qu’il avait sauté sur le Stabsfeldwebel et l’avait étranglé.
Le major secoua la tête : – Mais pourquoi donc, mon cher Dorn ? C’était un homme si sympathique, si poli et de si bonne compagnie.
« Crétin ! » pensa Dorn qui se souvint d’avoir omis de demander au meurtrier le mobile du crime. Il cilla deux fois, eut une idée, et trompeta au major ahuri, si étrangement solitaire sur sa chaise :
– Je signale à mon commandant que le prisonnier ne pouvait souffrir le Stabsfeldwebel.
– Epouvantable ! répéta le major en s’essuyant encore le front du mouchoir qu’il avait tiré de sa manche.
Dorn se pencha avec zèle sur le bureau et disposa les papiers pour la signature. Le major signa sans lire. Il avait toute confiance en son subordonné et n’aurait d’ailleurs rien osé faire d’autre. Privé de cet individu compétent, il se trouvait perdu dans cette jungle prussienne. Jusqu’à la sonnerie du téléphone qui le faisait sursauter de terreur à l’idée d’entendre le commandant de la prison, cet Oberst Vogel qui aboyait les mots comme des projectiles, termes toujours incompréhensibles et qui signifiaient toujours des désagréments.
Dorn tendit en souriant une chemise rose au major et l’ouvrit servilement. Le major reconnaissant se pencha et signa. Il ne fit aucune attention à ce qu’il signait
U ne vit pas les lettres gothiques en noir sur la chemise rose :
« Dossier du feldwebel Hermann Lindenberg 43 e régiment d’infanterie »
Il y manquait seulement deux dates :
« Mort le…
Livré au four crématoire le… »
Tout en signant l’ordre d’exécution, le major pensait à tous les ennuis que cet assassinat allait lui valoir. Que la chose ait pu se passer chez lui ! Il en aurait juré, s’il n’avait été aussi bien élevé.
Soulagé, Dorn rassembla les papiers signés. Des questions indiscrètes, il n’en craignait évidemment pas, mais il valait toujours mieux éviter des histoires.
– Je remplis les papiers concernant le meurtre du Stabsfeldwebel ?
– Très bien, très bien, mon cher Dorn, soupira le major qui prit un cigare dans son tiroir.
Dom tendit le cou et constata rapidement que nul n’avait touché au tiroir. Le major lui offrit poliment un cigare et tous deux prirent un petit verre de cognac de l’ar moire. Aucun des deux hommes ne marqua le moindre étonnement à voir le flacon diminué de moitié depuis la veille. Le major pensa que Dorn avait trouvé là un réconfort après ces horribles événements, et Dorn pensa : « Tous les mêmes. Il boit en cachette. En public, ni femmes ni alcool, mais dès qu’ils sont seuls, des porcs naturellement. »
Aucun des deux ne songea à Joseph Porta qui avait découvert la bouteille au cours de ses débauches de talc.
Dorn regagna son bureau et se jeta dans un fauteuil auprès de la table à écrire. Il se sentait tout à
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