Bataillon de marche
personne ! Attendez un peu le bataillon de marche !
Il disparut dans l’escalier et là, croisa le major Divalordy dont la pâleur frappait malgré la demi-obscurité du lieu. Dora eut un salut raide. Un rapport très vague sortit de sa bouche. Le major fixait d’un air éperdu son Hauptfeldwebel.
– Mon cher Dorn, nous vivons des temps terribles !
« Triple idiot ! » pensa Dorn tout en donnant raison au major.
– Je suis convoqué chez le colonel à 11 h 7, murmura le major d’une voix de moribond.
– Oui, monsieur le major, je le sais par l’adjudant.
– C’est vrai, mon cher Dorn, c’est vrai…
« Un jour comme celui-ci, c’est une merde d’être officier, pensa Dorn. Bien fait ! » Il claqua des talons deux fois, salua et se hâta vers le dépôt où trônait l’Oberfeldwebel Thomas muni d’un pouvoir illimité sur les portes sévèrement verrouillées. Thomas avait le petit légionnaire comme adjoint, lequel à son tour se faisait aider par Petit-Frère pour trois jours. Le trio tuait le temps agréablement en jouant aux cartes.
– J’ai envie d’une femme, confiait Thomas à ses acolytes en ramassant la levée.
Au même moment, un poing autoritaire tambourina à la porte.
– Ouvrez, crétins, c’est moi !
Thomas regarda le légionnaire, puis Petit-Frère, et pensa : « Voilà une journée foutue. » Lentement il se leva, prit au râtelier un fusil mitrailleur et l’arma. Les cartes s’étaient volatilisées. Le légionnaire disposa par terre quelques cartouches, Petit-Frère sortit deux revolvers ; tout indiquait une activité débordante.
Thomas ouvrit la porte et salua amicalement Dorn. Celui-ci entra large et majestueux ; il savait qu’il n’avait aucun pouvoir en ces lieux, mais ça ne coûtait rien d’essayer. Il jeta un regard circulaire et tonna :
– On appelle ça un dépôt ! – Une caisse de cartouches vide vola d’un coup de pied de l’autre côté de la pièce. – Karl August Thomas, si j’étais mauvais bougre et que je fasse un rapport que M. le Commandant de la prison trouverait demain sur son bureau ? Hein ? Qu’en dis-tu ? – Il attendit un instant mais Thomas resta muet. Alors ses yeux pétillèrent. Il était vainqueur et Thomas se révélait une poule mouillée.
– Hein, Karl August ? Tu as envie d’aller voir Ivan ? Heureusement pour toi que je ne suis pas méchant et que je n’aime pas dénoncer les copains. – A cet instant, il remarqua le regard du légionnaire et crut y lire une ironie méprisante, mais il se trompait sûrement. – Faisons une partie de 21, dit-il bonhomme en s’adjugeant le meilleur tabouret de la pièce.
Thomas ne protesta pas. L’humeur de Dorn montait au zénith. Comme cela se doit pour un Hauptfeldwebel de l’ancienne école, il avait l’autorité bien en main. Un geste condescendant permit aux autres de s’asseoir. Petit-Frère prit place sur un tas de caleçons que, sans pudeur il descendit d’un rayon. Le légionnaire donna les cartes et remarqua que Dorn en faisait disparaître deux, mais l’expérience avait appris depuis longtemps au petit soldat du désert qu’il ne fallait jamais remarquer qu’un supérieur trichait. Ça faisait partie des bonnes manières. Ils jouèrent un temps en silence. Dorn gagnait toujours ; c’était le plus gradé. Puis Thomas en eut assez. Il arrêta le jeu et remarqua :
– Quel beau fumier que cette histoire de Jem Gustav !
Dorn à son tour jeta les cartes et explosa :
– Une belle cochonnerie (pour moi. Que le diable ait ce bandit !
– Le feldwebel Lindenberg ? demanda naïvement Thomas.
– Bien sûr que non ! Jern Gustav naturellement !
Que Dieu ait pitié de l’aumônier s’il s’avise de dire une prière pour cet abruti. Pour un vieux sous-officier, se faire estourbir dans une prison militaire, c’est un comble ! – Thomas hochait la tête. – Jamais autrefois on n’aurait vu ça ! continuait Dorn. Il est vrai que Gustav était un ivrogne, un mauvais camarade qui ne causait que des emmerdements à tout le monde !
– Une truie rayée, appuya Thomas.
Dorn, très excité, se tourna vers le légionnaire.
– Dans cette légion de malheur où vous vous étiez fourvoyé, Kalb, ça devait se voir ce genre de choses ?
– Jamais, dit le légionnaire. Ce genre de choses n’arrive que dans les prisons prussiennes.
Les yeux de Dorn vacillèrent et il lui fallut quelques instants pour se reprendre :
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