Bataillon de marche
Tout à coup, il crut s’évanouir, il tombait… Puis il se rendit compte qu’il ne pouvait pas tomber. Une courroie le maintenait serré au-dessus de la poitrine.
Il faut se reprendre… Pas de mollesse. A cause des copains, tiens-toi droit… Il suivit des yeux la rangée qui lui faisait face : des camarades assassinant un camarade. Curieux que ce soient des soldats de char en noir et des marins en bleu qui aient à exécuter les uniformes verts des camarades.
– Camarade, chuchota-t-il en regardant Petit-Frère immense et large à la droite du peloton, les pieds un peu de côté, la crosse du fusil serrée contre son épaule.
Leurs yeux se rencontrèrent. Le fusil bougea. Imperceptiblement, le canon se leva. Petit-Frère ne tirait pas sur un copain. Le fusil de Porta prit la même direction que celui de Petit-Frère. Une chaude reconnaissance s’empara de l’homme qui allait mourir : – Merci, camarades, murmura-t-il. Et il s’aperçut qu’il pleurait.
Un des soldats du peloton s’évanouit. A peine dix-huit ans, avec des lunettes. Il tomba tout d’une pièce ; le fusil cliqueta à deux mètres sur l’asphalte.
« C’est trop pour des enfants, pensa le condamné. Pauvre gosse, tu n’oublieras jamais. Tout, mais pas cela. On ne parle jamais de ces choses-là. »
Le dernier sourire qu’il vit fut celui de Petit-Frère, puis 3e choc eut lieu. Il frappa comme une massue. On entendit un cri atroce.
Le lieutenant Ohlsen s’approcha vivement du poteau, un revolver à la main.
– Le coup de grâce est inutile.
Un instant, il regarda le mort.
Sur un signe du médecin, les deux infirmiers s’approchèrent avec la civière ; ils soulevèrent le corps et disparurent par la petite porte. Le premier peloton marcha vers la caserne de la prison. Derrière, quelqu’un vomit.
– Porta, chuchota Petit-Frère, quelle rigolade le jour où on fera ça aux autres !
– Oui, ce jour-là on tirera dans le mille.
Cinq coups à l’horloge de la tour. Il y avait exacte-dent vingt minutes que Lindenberg se réveillait dans sa cellule. A 11 heures, le Hauptfeldwebel Dorn en avait terminé avec l’affaire Lindenberg.
Les papiers gekados s’étalaient sur son bureau : rapport concernant l’exécution et l’inhumation du condamné, note des frais, honoraires du médecin et du prêtre. Le tout s’élevait à 1 290 marks 05. Dorn imprima au bas des feuilles le cachet de service avec le nom du major en fac-similé, et l’enveloppe fut placée dans la boîte du courrier. L’affaire Lindenberg était classée.
Le Hauptfeldwebel se détendit ; il mit ses pieds sur la table et s’empara joyeusement de la serviette gekados contenant la collection pornographique. La matinée était son meilleur moment, nul n’aurait osé le déranger sans s’attirer des foudres, et il était en train de se livrer à une étude de partouze à vous faire dresser les cheveux sur la tête, lorsque le téléphone interrompit son agréable passe-temps.
C’était le feldwebel du dépôt qui demandait des instructions. Où devait-on envoyer les affaires de Lindenberg ?
– Y a-t-il quelque chose qui puisse nous intéresser ?
– Les lettres d’une femme et ce genre de saloperies.
– Envoyez ça au conseil de guerre pour qu’ils s’en torchent le cul, ordonna Dorn. – Sa voix devint menaçante. – Pendant que je t’ai au bout du fil, Adams, mets-toi ça une fois pour toutes derrière l’oreille. Le matin j’ai un travail fou et je ne veux être dérangé sous aucun prétexte. Si tu l’oublies encore une fois tu te retrouveras au bataillon de marche, direction est, Merdeux !
Dorn cracha par terre, alluma un des cigares du major et se remit à l’aise.
Peu après eut lieu le second dérangement de la matinée. La porte du couloir s’ouvrit. Deux hommes entrèrent. Ils avaient l’air jumeaux quant à leurs vêtements, mais leurs visages, les yeux exceptés, étaient très différents. Des yeux très clairs, perçants. Sur leurs têtes, des chapeaux mous, gris, aux bords rabattus tout autour, et ils ne se découvrirent pas tout de suite. Tous deux portaient des manteaux de cuir gris, étroits et boutonnés jusqu’au cou ; aux pieds, de gros souliers bruns qui grinçaient.
– Que désirent ces messieurs ? aboya Dorn sans retirer ses pieds de la table.
– Difficile à dire, répondit celui qui se nommait Katz. – Il se tourna vers son compagnon et montra Dorn. – Qu’est-œ qu’on
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