Bataillon de marche
d’humiliants travaux pour lesquels on n’employait que les gens de rien. Une pensée atroce l’envahit qui le fit frissonner. Ils n’iraient pas jusqu’à l’enfermer à Torgau ? Au milieu de prisonniers qui le connaissaient comme Hauptfeldwebel ? Il frissonna encore davantage.
– Nom, âge, religion ? demanda Katz qui se mit à taper un rapport, son travail de prédilection. Ce fut un long rapport avec cinq grosses rubriques : sabotage, conduite illicite, action policière illégale, négligence du devoir, falsification de documents.
Dorn signa le tout et ajouta « Hauptfeldwebel », vieille habitude.
– Tu n’es plus Hauptfeldwebel ! cria Katz. Tu es arrêté. Tu ne comptes plus, c’est compris ?
Ce fut à cet instant pathétique que la porte s’ouvrit et qu’entra un officier minuscule. Mais chez ce petit homme tout impressionnait. Il était colonel et revêtu de l’uniforme gris olair de l’artillerie d’assaut, avec les deux têtes de mort d’argent frappant les revers noirs. Au large ceinturon s’accrochait un gros revolver noir P38, en étui marron clair fait d’un cuir neuf et odorant. Le revolver semblait un canon à côté du petit homme. La manche gauche était vide. Autour du cou pendait la croix de chevalier. Le nez était immense ; il avançait comme la figure de proue d’une frégate, dépassant l’ombre portée par la visière de la casquette gris perle.
Le petit homme s’arrêta au milieu de la pièce et attendit. Dorn sauta en l’air comme un ressort très tendu projeté hors de sa boîte.
– Garde à vous ! cria-t-il. Colonel… Haupt… – Il se reprit immédiatement. – Arrêté Joachim Dorn signale sa présence avec deux policiers.
Le visage du colonel n’eut pas un frémissement. Il ressemblait à une statue glacée dans le vent d’un matin d’hiver. Les deux types de la Gestapo s’étaient également levés. Un instant, un silence de mort régna dans le bureau. Le colonel dominait la situation par sa seule présence.
Don se mît à trembler. Il avait toujours mal au ventre en présence du colonel. Ce fut celui-ci qui rompit le silence.
– Ces messieurs appartiennent à la police secrète, constata-t-il.
– Oui, mon colonel, aboya Katz. – Les mots g police secrète » ne lui plurent pas. – SS Stabschar-fiihrer Katz accompagné de SS Oberscharführer Schröder comme assistant. Détaché pour établir un rapport sur l’assassinat qui a eu lieu dans la 2 e section de la prison militaire de Torgau, effectué par un feldwebel prisonnier sur la personne d’un Stabsfeldwebel.
– Je pense que vous avez pu faire votre travail, messieurs ? demanda le colonel d’un ton doucement menaçant. Du moment que je vous trouve au secrétariat de la 2 e section, Dom est-il complice de l’assassinat ?
– Non, mon colonel, répondit Katz.
Le colonel leva un sourcil. Ses narines frémirent comme celles d’un chien qui a trouvé la voie.
– Alors je ne comprends pas. Puis-je demander ce que ces messieurs ont à faire au secrétariat de la 2 e section ? – Il tira de sa poche une montre en or et en contrôla l’heure avec celle que marquait la pendule du bureau. – Ces messieurs ont passé la garde centrale à 9 h 37. Il est maintenant 17 h 14. Il y a sept heures trente-sept minutes que ces messieurs se trouvent dans les locaux de la prison et ce n’est que maintenant que j’ai le plaisir de les rencontrer. Or, c’est moi qui vous ai fait venir et pas la 2 e section. J’ai désiré une enquête effectuée par des étrangers. Peut-être avez-vous été vous présenter à la Kommandantur ? Et, chose invraisemblable, aurais-je pu l’oublier ?
Pour la troisième fois ce jour-là, la porte s’ouvrit sans que personne eût frappé. C’était le major Divalordy.
– Bonjour ! dit-il gaiement.
Mais il s’arrêta net comme frappé de la foudre. Son visage eut des tiraillements nerveux, sa bouche s’ouvrit et se ferma un certain nombre de fois ; puis il se décida à se présenter en bredouillant : « Rien arrivé de particulier » et en osant demander des nouvelles de la santé du colonel « comme on l’aurait fait à Vienne ». Il eut un rire de gorge.
Le colonel sourit d’un air vainqueur :
– On n’a pas beaucoup d’imagination à Vienne, major. Puisque pour vous il ne s’est rien passé de particulier, moi je peux vous dire qu’il est arrivé des choses catastrophiques, et lourdes de conséquences…
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