Bataillon de marche
désagréables, prononça lentement le colonel tout en frappant à petits coups du manche de sa cravache sur le bureau de Dorn.
– C’est en effet très désagréable, mon colonel, crut devoir ajouter le major.
– Pas pour moi, reprit sévèrement le petit homme. Pour vous.
Le major avala sa salive. Il avait chaud. Le colonel se vissa un monocle dans l’œil. Il prit sans un mot les papiers des mains de Katz qui était au garde-à-vous et les lut dans un silence de mort.
– Foutaises ! dit-il en jetant la liasse sur la table. – Il regarda Katz, puis Schröder un peu plus longtemps. – Vous, messieurs, vous avez totalement ignoré mes ordres qui étaient de vous présenter à la Kommandantur, chez moi. Vous avez trouvé plus intéressant de vous promener dans le secrétariat de la 2 e section et de jouer à la Cour d’assises avec un de mes Hauptfeldwebel.
Il se tut un instant. Les deux hommes de la Gestapo, rigoureusement immobiles, fixaient une photo d’Adolf Hitler pour y puiser force et courage.
– Je prends votre silence comme un aveu. Dans cinq minutes vous serez chez mon adjudant qui a tiré l’affaire au clair et désire votre signature. On vous attend à Berlin ce soir. Demain matin, vous partez avec le bataillon de marche vers l’Est, dans une section de police en campagne. – D’un geste de la main, il balaya les deux héros de Himmler. – Bon voyage, messieurs.
A grand bruit de souliers cloutés, les deux sbires sortirent de la pièce. Dans le couloir, ils respirèrent. Katz dit à Schröder :
– La vache ! Filons. Ce type a des relations. Je hais les colonels.
Dix minutes plus tard, ils quittaient Torgau à toute vitesse en maudissant Jeim Gustav.
Le petit colonel se tourna vers Dorn.
– Vous avez été très longtemps Hauptfeldwebel. Des événements récents m’ont démontré que le service vous paraît lourd, mais vous êtes un soldat très courageux, Dorn, qui brûlez de vous mesurer personnellement avec les ennemis de la patrie et du Führer. Nous sommes d’accord ?
– Oui, mon colonel, balbutia Dorn qui tournait à la couleur brique.
– J’en étais sûr, dit doucement le colonel. Vos papiers sont en règle chez l’adjudant. Je crois même qu’ils se trouvent déjà chez le commandant du bataillon de marche. Dans une heure, vous vous y présentez. Au revoir et bon voyage.
Dorn disparut. A la porte, il claqua des talons deux fois et fila comme s’il avait la fièvre. L’univers s’était écroulé. Fini, fini. C’est le remerciement pour tout ce que j’ai fait ! Jeté au fumier comme une merde. Me battre pour le Führer et la patrie ! Au diable ! Et quitter cette prison… sa » prison ! Ce colonel, c’était Satan en personne.
Dès que Dorn eut fermé la porte derrière lui, le petit colonel se tourna vers le major..
– Quel bourbier, major ! Qui a eu l’idée saugrenue de vous nommer ici ?
Le major hoqueta.
– Vous vous êtes laissé mener – vous-même et la section – par un feldwebel. Je ne tolère pas ce genre de choses. On est un officier ou on est une lavette. Qu’êtes-vous, je vous prie ?
– Officier, mon colonel !
Le major essaya de crier mais le mot passa mal.
– Vous trouvez ? C’est ce qu’on verra. La question m’intéresse personnellement, c’est pourquoi je vous ai trouvé un autre poste. Le régiment de pionniers a besoin d’un chef pour son bataillon de marche, et vous êtes pionnier, major. Du moins, c’est ce qu’indique votre uniforme. Le colonel des pionniers m’a dit qu’il serait heureux de vous confier ce poste. Comme je pars du point de vue que vous êtes un officier et pas ce dont nous parlions tout à l’heure, vous serez ravi de vous battre pour la patrie, et même éventuellement de lui donner votre vie.
En souriant, il tira de sa poche une demande d’affectation et la posa devant le major livide.
– Pour éviter une perte de temps, j’ai fait établir par mes services une demande d’affectation au bataillon de marche d’un régiment de pionniers. Vous n’avez plus qu’à signer et à vous aussi je souhaite bon voyage.
Il porta sa cravache en guise de salut à la visière de sa casquette et laissa le major anéanti. La manche vide du colonel semblait être un adieu moqueur.
C’est ça qu’on risque ! se dit le major. Epouvantable ! Que diraient les dames de Vienne d’un don Juan à moignon ? »
Il se laissa tomber lourdement sur le tabouret de soldat au
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