Bataillon de marche
milieu de la pièce. Epouvantable. Une seconde, l’idée lui vint de se suicider, mais ça ne menait à rien. Peut-être arriverait-il à décrocher un poste important derrière le front et, qui sait ? une belle décoration ? Elle ferait bien à son retour à Vienne.
Tout ragaillardi, le major s’empressa de faire ses valises et emballa entre autres choses vingt-huit chemises blanches.
Les tranchées lui furent une surprise désagréable. Il mourut de la dysenterie à Tobolsk, en 1948, dans un camp de prisonniers, et on le trouva gisant devant le baraquement n° 9.
Tous les jugements des conseils de guerre passaient à la signature chez le chef des vérifications juridiques de formée.
Ce chef, le général d’infanterie von Grabach, ne lisait que rarement ce qu’il signait. Apposer une signature au bas d’une livraison de saucissons ou d’une condamnation à mort était pour lui tout un.
Il aimait arborer des bottes grinçantes, tout comme son ami le général de Vlntendance qui, lui aussi, connaissait son pouvoir. Les fournitures étaient souvent d’une importance plus grande que les armes. Quelques caisses de cognac français faisaient parfois Couvrir de lourdes portes de prison.
L’Oberleutnant Briicker souriait et contemplait avec intérêt le général de l’Intendance un peu ahuri.
– Les relations sont une chose importante, constatait le général en faisant tinter ses éperons.
L Oberleutnant parut ne pas comprendre. Le général dut abattre ses cartes. Briicker rigolait intérieurement.
« Te voilà dans le bain, crétin ! » pensait-il en se tenant au garde-à-vous. Et il claqua par trois fois des talons.
Le général sembla tranquillisé. Brücker était un officier loyal, un Prussien de la bonne école. Il ne savait pas encore qu’il était assis sur un volcan.
LE GENERAL D’INFANTERIE VON GRABACH
LE général d’infanterie von Grabach, chef des vérifications juridiques des quatre commandos d’armée, faisait les cent pas dans le somptueux bureau d’où la vue était ravissante sur le Landwehr Kanal. Il était de merveilleuse humeur car sa maîtresse lui avait promis de sortir avec lui ce soir-là, et le général se réjouissait à l’idée de ce qui suivrait la soirée.
Il voyait déjà M me von Stirlitz en petite culotte rose. Le général aimait beaucoup le rose, et portait lui-même du linge rose. H sourit et regarda impatiemment l’heure à sa montre-bracelet en or. Un cadeau du conseil municipal de Bucarest où il avait commandé pendant quatre mois divins. Quelles femmes ! Bon Dieu, quelles fêtes ! Ça se terminait toujours par des partouzes.
Ici, à Berlin, c’était bien différent, il fallait courir après chaque femme, mais le pire était la horde des types du Parti, tous ces SS qu’on fourrait à vos trousses. Une racaille de ce genre n’avait que faire dans une armée composée de messieurs de la meilleure société. Le général von Grabach fit la grimace. Il s’avança vers la grande fenêtre et laissa errer son regard sur les eaux paresseuses du Landwehr Kanal où un remorqueur asthmatique traînait quelques péniches ventrues. Il ne fallait surtout pas oublier d’envoyer à son ami, le général de division, le mot concernant le mari d’Ebba. Voyez un peu si le capitaine von Stirlitz rentrait inopinément ! Quel pétard ferait ce nazi auprès de ses relations de la Prinz Albrecht Strasse ! Le général se vit déjà dégradé et envoyé dans un bataillon disciplinaire. La compréhension était une vertu inconnue dans le Troisième Reich. Comme si c’était un crime de coucher avec une femme mariée dont le mari était au front !
Son officier d’état-major entra et posa quelques papiers sur le bureau sculpté. Des papiers contenus dans des chemises roses. Documents du conseil de guerre. Deux des chemises se barraient de grandes lignes rouges : affaires de condamnation à mort.
– Mon général, dit l’officier d’une voix de tête, deux recours en grâce de Torgau. Un lieutenant d’artillerie, affaire de meurtre ; un feldwebel d’infanterie, désertion.
– Merci, Walther, mettez-les sur le bureau, je les examinerai quand j’aurai le temps. On nous assomme toujours avec ces recours en grâce, nous ne gracions jamais personne. Et surtout ici à la 4 e armée où nous passons pour particulièrement durs. Pas de pitié de femmelettes. La punition la plus dure au conseil de guerre et confirmation en appel. C’est
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