Bataillon de marche
compagnon de malheur.
– Nous sommes deux, continua le feldwebel d’infanterie, et nous resterons ensemble jusqu’à la fin. Tu n’es plus seul, camarade.
On vit Heinz Berner se redresser :
– Merci, camarade.
Il marcha le long du couloir, très droit à côté du Vieux ; il descendit l’escalier et sortit de la prison.
Le prêtre marchait derrière la procession, en uniforme gris de campagne, la croix suspendue à une chaîne sur sa poitrine. Il priait à voix basse et nous entendîmes ces mots : « Seigneur, pardonnez-nous nos offenses. »
Le soleil apparaissait maintenant au-dessus du grand mur. S’était-il éteint devant ce qui se passait ? En tout cas, il se rallumait et dressait un paroi de flammes et d’argent pour les condamnés, comme si la nature voulait leur indiquer ce qui, peut-être, les attendait.
Le merle entonna ses trilles, quelques mouettes volaient en rond au-dessus de la cour de la prison où tout se déroulerait automatiquement selon le règlement du conseil de guerre, jusqu’au moment où les balles auraient troué la poitrine du lieutenant Berner.
Julius Heifde et le légionnaire l’attachèrent au poteau, ce poteau rude et usé, couvert de taches de sang.
– Veux-tu le bandeau ? demanda le Vieux.
– Je ne veux pas mourir ! bégaya Heinz. Au secours !
Alte lui banda les yeux. Le feldwebel d’infanterie, à l’autre poteau, répondit haut et clair : « Non, merci », lorsqu’on lui posa la même question. Il regardait droit devant lui, par-dessus le bord du mur de six mètres de haut qui lui faisait face.
La dernière chose de ce monde que vit Berner fut la main abîmée d’Alte, une main abîmée par les éclats de grenades. Mais il pouvait encore sentir la terre humide, le foin de la prairie qui embaumait.
Le 1 er et le 2 e pelotons se formèrent. Un lieutenant inconnu avait pris la place du lieutenant Ohlsen. Il oublia la traditionnelle et dernière cigarette, ou bien tenait-il à faire vite ? La cigarette allongeait l’exécution de cinq minutes. Une éternité. Que ce soit fini, mon Dieu ! Le lieutenant devait avoir envie de se saouler. Tout le monde avait campo le jour d’une exécution ; c’était un service particulièrement dur.
Le lieutenant redressa son casque. Il appartenait à un régiment de cavalerie motorisée. Sa manche droite était vide depuis Stalingrad. Même sans le connaître, nous le détestions. Sa poitrine était couverte de décorations, et il avait tout au plus vingt-cinq ans.
Claquant des talons, il commanda d’une voix métallique :
– Premier groupe, à droite, droite !
Alte se tourna à demi vers la gauche pour surveiller le mouvement.
– Porta, un peu en avant. Heide, un peu en arrière. Les fusils aux hanches. Prêts.
– Regardez droit ! commanda le lieutenant. Chargez les fusils.
Les culasses s’ouvrirent, les balles grincèrent, les verrous claquèrent.
– En joue !
Le commandement se répercuta sur les murs. Les fusils pointaient tout droit vers la poitrine de Heinz. Dans une chambre, à l’auberge du « Hussard rouge », deux êtres suivaient des yeux les aiguilles de l’horloge murale. Il était cinq heures moins une.
Le lieutenant inconnu regarda la pendule de la tour de la prison. Il ne vit pas que le fusil de Petit-Frère se levait imperceptiblement ; celui de Porta en fit autant. On aurait pu croire que leurs mains tremblaient. Deux hommes ne tireraient pas sur un camarade, mais il y en avait dix autres pour tuer un condamné à dix-neuf ans,
L’horloge sonna.
– Feu !
Les douze coups tonnèrent ensemble. Nous avions appris à obéir aux ordres. Un long cri s’éteignit dans un râle rouge sang. Heinz Berner restait suspendu à la corde et le merle ne sifflait plus.
Deux soldats infirmiers arrivèrent en courant avec leur civière. Le lieutenant manchot marcha rapidement vers le poteau et, sans un cillement, il vida son chargeur dans le corps frémissant. Puis il rengaina son arme qui eut l’air de lui résister.
Il tourna sur ses talons et revint vers nous.
– Premier groupe, à gauche, gauche. En colonne par un. En avant.
Tout cela finit naturellement par le bataillon de marche. Ce fut la faute de Petit-Frère, de Porta et d’un soldat condamné à mort qui parvint à s’enfuir.
Au cours de l’enquête, on se rendit compte que le prisonnier avait fait usage d’outils envoyés de l’extérieur : des cuillers, un ciseau, un couteau. Il avait
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