Bataillon de marche
villa semblait abandonnée. Au premier et au second étage où tout était rose et bleu clair, les chambres se suivaient, des chambres qui sentaient la femme. Toutes munies d’un énorme canapé et de miroirs partout.
– Une vraie autoroute ! s’exclama Petit-Frère en s’étalant sur un des canapés.
– Longue vie à la classe dirigeante ! cria Porta qui se vautrait dans un fauteuil profond. Qu’il s’amène quelques poules à linge noir et cette guerre peut durer trente ans l La Roumanie est un bon endroit. Vous vous rappelez en 41, quand on a volé tout un compartiment au gros Hermann ?
Nous nous mîmes à rire en évoquant le fleuve Dibovila. Porta ouvrit les fenêtres toutes grandes et prit le ton d’un guide.
– La mer que vous voyez là est la mer Noire et comme vous pouvez le remarquer elle n’a rien de noir ; et très loin derrière cette mer bleue qu’on appelle noire, il y a la guerre, mais pour l’heure la guerre c’est pas notre boulot.
– C’est bien, cette glace au plafond, dit Petit-Frère toujours vautré sur son divan. Qui a pu penser à ça ? Vous remarquez cette odeur ? Ça sent le jupon de dentelles et la culotte brodée.
Il hennit de joie et se mit à rêver lingerie féminine. Ses yeux brillaient à l’idée d’un régiment de femmes demi-nues.
Le légionnaire rit doucement et regarda Alte d’un air futé. Le Vieux s’accoudait à la fenêtre et fumait. Nous prîmes nos repas sur le toit, ce qui faillit coûter la vie à Petit-Frère lorsqu’il lança une grenade à un chien qui hurlait dans la cour. Il perdit l’équilibre et, sans la poigne de Barcelona, se serait écrasé sur le sol.
Ce même jour, au premier étage de la maison, Petit-Frère aperçut soudain une énorme femme qui était en train de vider un coffre mural. Il fut d’abord ahuri, mais se remit vite et empoigna la femme qu’il tenta de renverser sur le sol.
– Que fait cette truie ici ?
Nous arrivâmes en courant pour délivrer la femme muette de peur. Bile expliqua au Vieux que la maison lui appartenait mais qu’elle en habitait une autre un peu plus loin.
– Ma famille a le typhus, expliqua-t-elle.
Tout le monde recula. Le mot typhus éleva une barrière entre nous et l’intruse qui s’excusa et disparut. Le légionnaire plissa ses paupières et regarda la porte.
– Cette montagne de graisse me paraît bizarre.
– Tu crois que c’est une putain ? demanda Petit-Frère.
– Pas tout à fait, mais comme je connais assez les bordels de l’univers pour repérer un Alphonse ou une maquerelle à dix kilomètres, celle-là me paraît bien en être une. Attendez voir.
Il coiffa son petit calot noir, prit son revolver et glissa son couteau dans sa manche. Un second couteau logeait dans la tige de sa botte. Le petit légionnaire était un spécialiste du couteau et nous avait appris à nous servir à la perfection de cette arme dangereuse, c’est-à-dire à tuer sans que la victime émît un son. Celui dont la victime criait devait offrir une tournée.
– Je vais voir la grosse de plus près. Si elle ne tient pas un bordel, je n’ai jamais mis les pieds à la Légion.
Petit-Frère venait de découvrir un monceau de ravitaillement à 8a Kommandantur abandonnée, et sa chambre dans la villa blanche aurait pu soutenir un siège. Des cigares pendaient au plafond ; le long du canapé, des bouteilles s’alignaient comme à la parade, de grosses bouteilles de cognac français ; un grand tableau de deux femmes nues dans un tendre tête-à-tête avait été cloué au plafond.
– Il faudra une bataille historique pour me chasser d’ici, murmura-t-il.
– Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Barcelona en montrant un pot de porcelaine accroché à côté du divan.
– Ma pissotière particulière. Une œuvre d’art, avec des fleurs roses et bleues et des amours qui dansent. Jamais rien vu d’aussi joli, et ça peut se vider par la fenêtre.
Le petit Légionnaire revint débordant de nouvelles. Il s’assit en tailleur à côté de Petit-Frère et s’empara de cognac et de cigares. Alte et le légionnaire exceptés, personne de nous n’aimait le cigare mais tout le monde mettait un point d’honneur à en fumer. Heidie avait déjà vomi deux fois ; il en reprenait et jurait que c’était excellent. Il était ivre.
– Savez-vous ce qu’est la maison où nous sommes ? dit le légionnaire hilare.
– Que veux-tu dire ?
– Une bonne maison,
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