Bataillon de marche
cigarettes d’opium dans le lot, murmurait-il. Fume-les au dernier moment, ça aide. Et essaie de ne pas trop penser. Le temps passe vite. Avant que tu aies pu dire ouf, ce sera matin. Mais le mieux, ce serait de le faire toi-même, et Jésus ne t’en voudra pas tant que ça, bien que ce soit défendu. C’est un cas spécial. Tu peux encore m’assommer si tu le veux et prendre mon revolver.
Berner pleurait.
Petit-Frère s’en alla. Dans le couloir, sa rage se passa sur un seau plein d’eau qui vola dans les airs d’un coup de pied.
– Qu’est-ce que -tu fais, idiot ? cria Heide de l’étage inférieur en voyant l’eau couler sur les marches.
– Ta gueule ! Si c’était ton tour, ce serait un vrai plaisir de tirer.
Et le géant dégringola l’escalier dans un bruit d’enfer. Heide s’éclipsa prudemment ; dans ces moments-là, Petit-Frère était capable de tuer.
– Vieux, dit Petit-Frère en entrant au corps de garde. Il va falloir que tu ailles trouver Heinz et que tu lui racontes quelque chose sur Jésus. Pour ça, moi je ne vaux rien, je suis trop mauvais et Jésus trop bon.
– Serait-il pieux ? demanda Barcelona étonné.
– Non, dit Porta, mais ça ne fait jamais de mal si le Vieux peut le persuader que Jésus, fils de Marie, se trouve avec saint Pierre au bureau céleste pour l’attendre.
– Je vous le dis, les gars, reprit Petit-Frère, si j’avais plus de plâtre dans la cervelle et si je pouvais comprendre toute cette religion, ça me serait bien égal s’ils me tuaient. Mais je suis trop bête. Peut-être est-ce mieux que je sois si bête car si la menace du poteau me faisait vraiment rire, on ne sait jamais ce qui pourrait se passer.
– Tu serais une malédiction pour l’humanité, pouffa Porta.
– Allah sait ce qu’il fait, prêcha le légionnaire. Il emmènera Heinz tout comme il emmènera ceux qui se repentent de leurs péchés. Personne n’est trop bête pour se tourner vers La Mecque. Et si Heinz veut se tourner vers Allah, le caïd lui ouvrira les portes de son jardin.
Le géant se tourna vers le légionnaire.
– Va causer chez Heinz et raconte-lui des choses sur ce jardin d’Allah pour qu’il puisse se réjouir à propos de demain et nous considérer comme de rudes bons amis.
Le petit légionnaire pinça les lèvres en réfléchissant. Il passait la main sur son visage balafré ; la grande cicatrice qui lui traversait le visage de la tempe au cou était rouge sang.
– C’est une affaire si personnelle… Je ne suis guère tendre, mais tout de même ! Consoler quelqu’un qu’on va tuer…
Soudain, le Vieux se leva :
– J’y vais.
Il mit son calot et boucla le ceinturon qui portait le revolver :
– Je crois que je ferai mieux que le prêtre. Julius et Porta, éloignez tout le monde de la cellule. Qui que ce soit.
– Compte sur nous. Ce sera « Nem sabbot » (Entrée interdite (en tchèque).
Alte resta trois heures dans la cellule. Aucun de nous ne sut jamais ce qui s’y était passé. Heinz Berner parut soulagé. Alte avait dit ce qu’il fallait dire, et tout alla bien jusqu’à la visite des parents.
Ils étaient face à face, eux et leur fils, de chaque côté d’une petite table. Un peu à droite, tel un pilier de pierre, se tenait un gendarme qui écoutait de toutes ses oreilles, mais cela ne se voyait pas, il paraissait dormir. L’individu type de l’Etat dictatorial : stupide et glacé. Ne comprenant rien en dehors du règlement qu’on lui avait entonné dans la cervelle à la manière prussienne. Maintenant il était là, témoin d’une ultime visite, épiant un mot interdit. Il espérait bien avoir l’occasion d’interrompre la visite, et au besoin de dénoncer les visiteurs comme ennemis de l’Etat. Cette pensée le mettait presque de bonne humeur.
Le conseiller Berner devait se forcer à regarder son fils. M me Berner sanglotait.
– Heinz ! Il faut que nous soyons braves. – Elle saisit la main du lieutenant.
Les yeux du gendarme flambèrent. Essayait-elle de passer quelque chose d’illégal ? Son humeur tomba en constatant que c’était seulement le geste d’une mère désespérée. Bile chuchotait :
– Heinz, mon enfant chéri !
– Vous devez parler haut et distinctement, cria le gendarme.
– Père, demanda Heinz, et ses yeux luisaient encore d’espoir, c’est vrai ? Ils ne me gracieront pas ?
Le père secoua la tête :
– C’est ainsi, mon fils, prends courage.
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