Ben-Hur
l’arène était d’un intérêt trop palpitant pour qu’on pût prêter attention à autre chose et les Romains répétaient sans se lasser :
– Messala ! Messala ! Jupiter est avec nous !
Quand Esther eut repris assez de courage pour regarder de nouveau devant elle, on emmenait les chevaux de l’Athénien et quelques hommes l’emportaient lui-même avec les débris de son char. Les Grecs présents dans l’assemblée vociféraient des malédictions et des menaces. Bientôt Esther chercha Ben-Hur des yeux. Il tenait, aux côtés de Messala, la tête du cortège ; les trois autres concurrents les suivaient d’un seul groupe. La course était pleinement engagée, les spectateurs ne quittaient pas des yeux un seul instant ceux qui y participaient.
Au moment où la lutte commençait, Ben-Hur avait été, comme les autres, ébloui par la lumière éclatante qui inondait l’arène, mais il avait vit repris son sang-froid et reconnu son adversaire. Messala et lui avaient échangé un regard de défi, et la résolution inébranlable d’humilier son ennemi coûte que coûte, même au prix de sa propre vie, se lisait dans les yeux du Romain aussi bien que dans ceux du Juif. Mais Ben-Hur restait calme et absolument maître de lui, il ne se fiait pas à la chance, il se tenait debout dans son char, très droit et très tranquille, prêt à accomplir son plan au moment voulu.
Ils approchaient ensemble, sans que l’un dépassât l’autre de la longueur d’une tête, du second but. Le piédestal des colonnes formait un demi-cercle, et l’on attachait une importance extrême à les contourner dans toutes les règles de l’art. Un silence profond régnait dans tout le cirque. Messala lança un rapide regard à Ben-Hur en criant : « À bas l’Amour, vive Mars ! » Il brandissait en même temps son fouet qui s’abattit avec force sur les arabes de Ben-Hur, tandis qu’il répétait encore une fois : « À bas l’Amour, vive Mars ! » Cette action honteuse excita le mécontentement des spectateurs, comme le prouvaient les cris d’indignation et les protestations qui s’élevèrent de toute part.
Les chevaux de Ben-Hur, épouvantés, firent un brusque saut de côté ; comment en aurait-il été autrement ? jamais ils n’avaient été pareillement traités. L’instant d’après, ils se précipitaient en avant comme affolés. L’homme n’apprend jamais rien qui ne puisse, un jour ou l’autre, lui être utile. Ben-Hur en faisait l’expérience à cette heure. La force acquise en maniant les rames et l’habitude de se maintenir en équilibre, debout sur un banc, malgré le roulis, lui vinrent puissamment en aide. Il restait en place en dépit des secousses que l’allure désordonnée de son attelage imprimait au char, il tenait les rênes d’une main ferme, adressait à ses chevaux des paroles d’encouragement, et cherchait à les calmer de sa voix ; il réussit bientôt, non seulement à s’en rendre maître, mais encore à regagner le terrain perdu, si bien qu’avant le second but, il avait rejoint Messala. Celui-ci n’osa, malgré son outrecuidance habituelle, renouveler son attaque, tant il devenait évident que les sympathies du public non romain se détournaient de lui pour se porter sur le Juif.
Lorsque Ben-Hur passa de nouveau devant Esther, elle remarqua qu’il était plus pâle et qu’il tenait la tête plus haute que de coutume, à part cela rien en lui ne trahissait la moindre agitation.
Quand le premier tour eut été achevé, deux hommes, aux deux extrémités du mur, enlevèrent l’une des boules, l’autre un des dauphins placés sur les entablements. Ils répétèrent cet acte après chaque tour. À la fin du troisième, Messala conservait toujours sa place, près de la muraille, et Ben-Hur se maintenait sur la même ligne que lui. On aurait dit qu’il s’agissait d’une de ces courses doubles, qui furent plus tard en usage à Rome, et qu’ils luttaient ensemble contre le reste des concurrents.
Un moment, pendant le cinquième tour, le Sidonien réussit à rattraper Ben-Hur, mais bientôt il se laissa distancer de nouveau. À mesure qu’ils s’approchaient du dénouement, les chevaux redoublaient de vitesse ; ils semblaient se rendre compte de l’effort suprême qui restait à tenter pour obtenir la victoire. L’intérêt qui, dès le début, s’était concentré sur le Romain et sur le Juif, commençait à se changer en
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