Ben-Hur
!
– C’est ici le palais d’Idernee. Qui cherchez-vous ? Répondez-moi !
Il parlait d’un ton d’autorité ; les deux étrangers s’arrêtèrent et à son tour le Saxon demanda :
– Et toi, qui es-tu ?
– Un Romain.
Le géant rejeta sa tête en arrière et se mit à rire, en s’écriant :
– J’ai entendu raconter qu’une vache qui léchait du sel a été tout à coup changée en dieu, mais un dieu lui-même ne saurait faire d’un Juif un Romain.
Quand il eut assez ri, il dit encore quelques mots à son compagnon et se rapprocha de Ben-Hur.
– Arrête ! commanda celui-ci en quittant la colonne à laquelle il s’appuyait.
Ils lui obéirent, et le Saxon, croisant ses énormes bras, lui dit d’un ton de menace :
– Que me veux-tu ?
– Tu es Thord, le Saxon.
Le géant ouvrit tout grands ses yeux bleus.
– Tu as été laniste à Rome ?
Thord fit un signe affirmatif.
– J’ai été ton élève.
– Non, dit Thord en secouant la tête. Par la barbe d’Irmin, je n’ai jamais connu de Juif dont j’aie dû faire un gladiateur.
– Je te le prouverai. Vous êtes venus ici pour me tuer ?
– Cela est vrai.
– Alors laisse cet homme se mesurer seul avec moi et tu verras sur mon corps la preuve de ce que j’avance.
Cette perspective parut divertir le Saxon. Il échangea quelques paroles avec son compagnon, après quoi il s’écria :
– Attends que je donne le signal de commencer le combat.
Il poussa, du bout de son pied, un divan vers le milieu de la salle et s’y étendit confortablement, puis il leur dit :
– Commencez, maintenant.
Ben-Hur s’avança sans hésiter vers son antagoniste, en lui disant : « Défends-toi. »
Sans répondre, l’homme leva ses deux mains.
Il n’y avait pas, entre eux, à les voir, d’inégalité appréciable, au contraire, on aurait pu les prendre pour deux frères. Ben-Hur opposait au sourire effronté de l’étranger un sérieux qui aurait donné à réfléchir à ce dernier, s’il avait pu se rendre compte de l’habileté de son adversaire. Tous deux sentaient qu’il s’agissait d’un combat à mort.
Ben-Hur feignit d’attaquer avec sa main droite. L’étranger para le coup en avançant son bras gauche, mais avant qu’il pût se remettre en garde, Ben-Hur lui saisissait le poignet et le serrait comme dans un étau avec la force terrible que lui avaient donnée les années passées à ramer. Se pencher en avant, passer son bras autour de l’épaule de l’inconnu, le retourner et lui appliquer de sa main gauche un coup sur la nuque, ce fut l’affaire d’un instant. Point n’était besoin d’y revenir à deux fois. Le Barbare s’affaissa sans pousser un cri et demeura sans mouvement, étendu sur le pavé de mosaïque. Ben-Hur se tourna vers Thord.
– Ah ! ah ! ah ! exclamait celui-ci, par la barbe d’Irmin, je ne m’y serais pas mieux pris moi-même !
Il toisa Ben-Hur des pieds à la tête, se leva et ajouta avec un regard d’admiration non déguisée :
– C’est mon coup. Je l’ai pratiqué pendant douze ans dans les écoles de Rome ; tu n’es pas un Juif, qui es-tu ?
– Tu as connu Arrius, le duumvir ?
– Quintus Arrius ! oui, il me protégeait.
– Il avait un fils.
– Je me souviens de lui, dit Thord ; il aurait fait un gladiateur sans pareil et César lui avait offert son patronage. Je lui avais appris le coup que tu viens de pratiquer en cet instant.
– Je suis ce fils d’Arrius.
Thord approcha et le regarda attentivement, puis sa figure s’éclaira, il se mit à rire et lui tendit la main.
– Ah ! ah ! Il me disait que je trouverais ici un Juif, un chien de Juif, et qu’en le tuant, je rendrais service aux dieux.
– Qui te disait cela ? demanda Ben-Hur en lui prenant la main.
– Lui, Messala !
– Quand te l’a-t-il dit, Thord ?
– La nuit dernière.
– Je le croyais blessé.
– Il ne marchera plus. C’est de son lit qu’il m’a parlé, entre ses gémissements.
Ben-Hur comprenait maintenant que tant qu’il vivrait, le Romain ne cesserait d’être pour lui un danger perpétuel. Pourquoi ne pas lui emprunter sa méthode ? Pourquoi n’achèterait-il pas, à son tour, les services de l’homme que son ennemi avait payé pour le tuer ? La tentation était forte et il allait peut-être y céder, quand ses yeux tombèrent sur le visage du mort si étrangement
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