Ben-Hur
prendre connaissance de toute cette partie de la tour, visite chaque cellule et assure-toi de l’état dans lequel elle se trouve. Tu prendras toutes les mesures que tu jugeras nécessaires à la sécurité des prisonniers, car tu n’auras à répondre de tes actes qu’à moi seul. » Je le saluai et j’allai me retirer, quand il me rappela. « Ah ! me dit-il, j’oubliais quelque chose. Rends-moi le plan du rez-de-chaussée. » Quand il l’eut déployé devant moi il reprit, en posant le doigt sur la cellule qui portait le n° 5 : « Il y a dans cette cellule trois prisonniers, des hommes qui sont en possession d’un secret d’État et qui portent la peine de leur curiosité. La curiosité, en pareil cas, – il me regardait sévèrement tout en parlant, – est pire qu’un crime, aussi, pour la leur faire expier, leur a-t-on crevé les yeux et coupé la langue. Ils doivent recevoir leur nourriture par un guichet, pratiqué dans la muraille. M’as-tu compris, Gésius ? » Je fis signe que oui. – « C’est bien, continua-t-il, – rappelle-toi que la porte de leur cellule ne doit être ouverte sous aucun prétexte, – sous aucun prétexte, tu m’entends, personne ne doit en sortir, ni y entrer, pas même toi. » – Mais s’ils viennent à mourir ? lui dis-je. – « S’ils viennent à mourir, cette cellule leur servira de tombe. Ils ont été mis là afin d’y périr et que l’on n’entende plus parler d’eux. Cette cellule est infectée par la lèpre, comprends-tu ? » Sur ces dernières paroles il me congédia.
Gésius s’arrêta et tira des plis de ses vêtements trois rouleaux de parchemin, il en choisit un qu’il déploya devant le tribun, en disant :
– Voilà le plan du rez-de-chaussée, tel que je l’ai reçu de Gratien.
Toute la compagnie se pencha pour regarder le plan, qui indiquait cinq cellules ouvrant sur un corridor.
– Je voudrais t’adresser une question, ô tribun, dit Gésius au bout d’un moment.
Le tribun fit un geste d’assentiment et le geôlier reprit :
– N’étais-je pas en droit de croire ce plan exact ?
– Comment aurais-tu pu supposer autre chose ?
– Et cependant, tribun, il est faux !
Le chef fit une exclamation de surprise.
– Il est faux, répéta le geôlier, il indique seulement cinq cellules, tandis qu’il y en a six en réalité, voyez plutôt. – Et prenant une de ses tablettes, il y traça à la hâte quelques lignes qu’il plaça sous les yeux du tribun en disant :
– Tu vois qu’il se trouve une sixième cellule, derrière les cinq qui ouvrent sur le passage.
– Je le vois, en effet, dit le tribun après avoir examiné le dessin, tu as eu raison de m’en avertir, je ferai corriger ce plan, ou plutôt j’en ferai faire un nouveau que je te remettrai. Viens le chercher demain.
Le tribun, croyant la chose terminée, se levait, mais Gésius s’écria :
– Écoute-moi jusqu’au bout, ô tribun.
– Je t’entendrai demain, Gésius.
– Ce que j’ai à te dire ne souffre aucun délai.
Le tribun se rassit et le geôlier reprit humblement :
– Je ne te retiendrai pas longtemps, mais il importe que tu saches ce que j’ai découvert. J’ai visité toutes les cellules, ainsi qu’on me l’avait ordonné, en commençant par celles de l’étage supérieur. Jusqu’alors j’avais respecté les ordres du gouverneur, concernant la cellule V du rez-de-chaussée et j’ai fait passer par le guichet, pratiqué dans la muraille, de la nourriture et de l’eau, pour trois hommes. Hier je me suis disposé à ouvrir enfin cette cellule, curieux que j’étais de voir les misérables qui, contre toute attente, avait vécu si longtemps. La clef a refusé de tourner dans la serrure, j’ai poussé un peu la porte ; aussitôt elle a cédé sous ma main et elle est tombée en avant. Je suis entré dans la cellule où je n’ai trouvé qu’un seul homme, vieux, aveugle, muet et nu. Ses cheveux retombaient en épais matelas jusqu’à la hauteur de ses reins, sa peau ressemblait au parchemin que voici. Il étendait ses mains devant lui, ses ongles étaient longs et crochus, comme les griffes d’un oiseau de proie. Je lui ai demandé où était ses compagnons, il m’a fait un signe de dénégation. J’ai inspecté toute la cellule, le sol et les murs en sont parfaitement secs. Si trois hommes y ont jamais été enfermés et que deux d’entre eux y soient morts,
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