Ben-Hur
disait-elle, voilà du pain et de la viande.
Elle aurait étendu une nappe sur le sol si sa maîtresse ne l’avait retenue.
– Ne fais pas cela, Amrah, lui dit-elle, ces gens là-bas te lapideraient et refuseraient de nous donner à boire. Laisse ton panier ici et va remplir ta cruche, puis nous emporterons le tout avec nous dans le tombeau. Pour aujourd’hui, tu nous auras rendu tous les services permis par la loi. Hâte-toi, Amrah !
Les gens sous les yeux desquels cette scène avait eu lieu, firent place à la servante et lui aidèrent même à remplir sa cruche, touchés qu’ils étaient de la douleur empreinte sur son visage.
– Qui sont-elles ? lui demanda une femme.
Amrah répondit humblement :
– Elles ont été bonnes pour moi, autrefois.
Elle plaça la cruche sur son épaule et, dans son désir de les servir, elle aurait oublié toute prudence, si le terrible cri d’avertissement ne l’avait forcée à poser l’eau auprès du panier et à reculer de quelques pas.
– Merci, Amrah, lui dit sa maîtresse en prenant possession de ces objets, tu as été très bonne pour nous.
– Ne puis-je plus rien faire ? demanda l’Égyptienne.
La main de la veuve était déjà posée sur l’anse de la cruche, car la soif la dévorait, mais elle leva la tête et oubliant de boire, elle s’écria :
– Je sais que Juda est revenu à la maison. Je l’ai vu, il y a deux nuits, dormant près de sa porte, je t’ai vue l’éveiller.
Amrah joignit les mains en poussant une exclamation d’étonnement.
– Maîtresse ! Tu l’as vu et tu n’es pas venue près de lui !
– C’eût été vouloir le tuer. Plus jamais je ne pourrais le serrer dans mes bras, plus jamais je l’embrasserai. Ô Amrah, Amrah, je sais que tu l’aimes !
– Oui, s’écria la fidèle servante qui s’agenouilla de nouveau en pleurant, je mourrai pour lui s’il le fallait !
– Prouve-le-moi, Amrah.
– Je suis prête à le faire.
– Alors ne lui dis jamais où nous sommes et que tu nous a vues. Je ne te demande que cela, Amrah.
– Mais il vous cherche. Il est venu de loin dans l’espoir de vous trouver.
– Il ne faut pas qu’il nous trouve, il ne faut pas qu’il devienne semblable à nous. Écoute-moi, Amrah. Tu continueras à nous servir, comme tu l’as fait aujourd’hui. Tu nous apporteras le peu dont nous avons besoin. Cela ne durera plus longtemps. Tu viendras ici chaque soir et chaque matin et – sa voix tremblait, son courage menaçait de l’abandonner – et tu nous parleras de lui. M’as-tu comprise ?
– Oh ! ce sera si dur de l’entendre parler de vous, de le voir continuer ses recherches, d’être témoin de son amour pour vous et de ne pouvoir lui dire : elles sont vivantes !
– Pourrais-tu lui dire que nous sommes bien, Amrah ?
La servante cacha sa tête dans ses bras.
– Tu ne le pourrais pas, continua sa maîtresse, aussi vaut-il mieux te taire entièrement. Nous t’attendrons tous les jours. Adieu !
– Le fardeau que tu m’imposes sera lourd à porter, maîtresse, balbutia Amrah.
– Combien plus dur ne serait-ce pas pour toi de le voir devenir ce que nous sommes ! répondit la mère en tendant le panier à Tirzah. Reviens ce soir, répéta-t-elle, en se chargeant de la cruche, après quoi elles regagnèrent le sépulcre abandonné.
Amrah attendit qu’elles eussent disparu à ses yeux, elle reprit ensuite tristement le chemin de la ville. Dès lors elle prit l’habitude de venir soir et matin à la même place et de veiller à ce que ses anciennes maîtresses ne manquassent de rien. Le tombeau, si pierreux et désolé fût-il, était moins triste que la cellule de la tour Antonia. Le soleil en dorait la porte, la nature étendait à l’entour ses splendeurs, et puis il est plus aisé d’attendre la mort avec confiance quand on découvre au-dessus de soi les profondeurs de la voûte des cieux.
CHAPITRE XXXVI
Au matin du premier jour du septième mois, le Tishri des Hébreux, qui correspond à notre mois d’octobre, Ben-Hur se leva de sa couche, dans l’hôtellerie qu’il habitait, mécontent du monde entier.
Il avait perdu peu de temps en consultations avec Malluch, lors de l’arrivée de celui-ci à Jérusalem, et le brave Israélite avait aussitôt commencé ses recherches, en s’adressant hardiment au tribun qui commandait dans la citadelle. Il lui raconta l’histoire des Hur et s’attacha à lui
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