Ben-Hur
faire voir l’accident arrivé à Gracien comme dépourvu d’intention criminelle. Il ajouta que le but de son enquête était de s’assurer si l’un ou l’autre des membres de cette malheureuse famille était encore vivant, auquel cas il s’adresserait à César pour lui demander de les remettre en possession de leurs propriétés et de leurs droits civils. Il ne doutait pas qu’une pétition de ce genre n’aboutît à une enquête, ce que les amis des condamnés n’avaient aucune raison de redouter.
En réponse à cela, le tribun lui apprit, dans tous ses détails, la découverte qu’il avait faite peu de temps auparavant de deux femmes dans une des cellules de la tour, et lui fit lire ce qu’il avait écrit sous leur dictée ; il consentit même à lui en laisser prendre copie.
Malluch, au sortir de cette entrevue, retourna en toute hâte auprès de Ben-Hur. Cette terrible histoire plongea le jeune homme dans une douleur trop profonde pour s’exprimer par des larmes ou des cris passionnés. Il resta longtemps immobile, le visage contracté, le cœur serré comme dans un étau. De temps en temps, il murmurait, dans un accès de désespoir : « Lépreuses ! Combien de temps encore, combien de temps, ô Éternel ! » Puis, saisi tout à coup d’un accès de rage, d’un désir fou de vengeance, il éclata en malédictions et en menaces. Enfin il se leva, en disant :
– Il faut que j’aille les chercher. Elles sont peut-être mourantes.
– Où iras-tu pour cela ? lui demanda Malluch.
– Il n’y a qu’un seul endroit où elles aient pu se rendre.
Malluch essaya de le détourner de son projet, mais tout ce qu’il put obtenir, ce fut qu’il lui permît de l’accompagner. Ensemble ils se rendirent à la porte en face du mont du Mauvais Conseil où, de temps immémorial, les lépreux se tenaient pour mendier. Ils y passèrent toute la journée, distribuant des aumônes, s’informant des deux femmes, offrant une riche récompense à quiconque les ferait découvrir. De nombreux lépreux, tentés par l’appât du gain, se mirent à parcourir la cité des morts, éparse sur les flancs de la montagne et plus d’une fois ils arrivèrent devant le tombeau, situé non loin du puits, et questionnèrent les deux femmes qui l’occupaient, mais elles gardaient bien leur secret et les investigations des lépreux échouèrent. Enfin, au matin du premier jour du septième mois, Ben-Hur et Malluch apprirent que peu de temps auparavant deux femmes, atteintes de la lèpre, avaient été chassées de la ville à coups de pierres par les autorités. La confrontation des dates les amena à la conviction que les victimes ne pouvaient être que la veuve et la fille du prince Hur et les laissa plus perplexes que jamais au sujet de leur sort ultérieur.
– Ce n’était pas assez de les avoir rendues lépreuses, répétait Ben-Hur avec amertume, il fallait encore les chasser à coup de pierres de leur cité natale. Ma mère est morte, elle s’en est allée au désert pour y mourir. Tirzah aussi est morte et moi je suis tout seul. Ô Éternel, Dieu de mes pères, combien de temps cette Rome maudite subsistera-elle encore ?
Le cœur plein de colère, de désespoir et de désir de vengeance, il entra dans la cour de l’hôtellerie et la trouva pleine de gens arrivés pendant la nuit. Tout en déjeunant il prêta l’oreille à ce qui se disait autour de lui. Quelques hommes, presque tous jeunes, l’intéressèrent bientôt particulièrement. C’étaient de robustes compagnons, dont les allures trahissaient un tempérament actif et que leur dialecte faisait reconnaître pour des provinciaux. Il y avait dans leurs regards, dans leur manière de relever la tête, dans tout leur maintien, une vivacité qu’on ne trouvait pas au même degré chez les représentants des basses classes de Jérusalem et qui leur venait probablement du genre de vie qu’ils menaient dans leurs montagnes et surtout de la saine liberté dont ils y jouissaient. Il n’eut pas de peine à découvrir que c’étaient des Galiléens venus pour prendre part à la fête des Tabernacles, qui commençait ce jour-là. Cette découverte augmenta encore son intérêt pour eux, car c’était en Galilée qu’il espérait trouver le plus d’appui pour l’œuvre qu’il se préparait à entreprendre.
Pendant qu’il les observait, en songeant à la possibilité de lever une légion de ces simples et vigoureux montagnards
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