Ben-Hur
certainement plus qu’un homme ?
C’était là une question solennelle, et longtemps après minuit ils la débattaient encore ensemble. Simonide ne pouvait consentir à se départir de l’interprétation qu’il donnait aux paroles des prophètes, et Ben-Hur assurait qu’après tout les deux vieillards pouvaient avoir raison et que le Nazaréen était peut-être à la fois le Rédempteur que réclamait Balthasar et le roi désiré par le marchand.
– Demain nous saurons la vérité. Que la paix soit avec vous !
Après avoir pris congé d’eux en ces termes, Ben-Hur s’en retourna à Béthanie.
CHAPITRE XLI
La première personne qui sortit de la ville après que la porte des brebis eut été ouverte, fut Amrah, son panier au bras. Les gardes ne lui adressèrent pas de questions : le jour ne paraissait point avec plus de régularité qu’elle ; ils savaient qu’elle était la fidèle servante d’une famille quelconque et cela leur suffisait.
Elle prit le chemin qui longe la vallée, à l’orient de la porte, passa à côté du jardin de Gethsémané et des tombeaux creusés près du carrefour formé par le point d’intersection de la route qu’elle suivait et de celle de Béthanie, puis elle traversa le village de Siloé et quand enfin, elle atteignit le jardin du roi, elle hâta le pas. Elle apercevait devant elle cette colline de Hinnom, dont les innombrables excavations offraient leur lugubre refuge aux lépreux. Bientôt elle allait atteindre le tombeau d’où l’on dominait le puits d’Enroguel et que sa maîtresse habitait toujours.
Si matinale que fût l’heure, la malheureuse femme était déjà levée ; laissant Tirzah encore endormie, elle était sortie afin de respirer un peu d’air frais. La maladie avait fait de terribles progrès durant ces trois années, aussi s’enveloppait-elle habituellement dans ses vêtements de manière que Tirzah elle-même ne pût voir son visage. Ce matin-là, elle avait découvert sa tête, sachant que personne ne se trouvait à proximité. La lumière, encore blafarde, permettait cependant de constater l’étendue des ravages causés par l’horrible mal.
Ses cheveux blancs retombaient autour d’elle en longues mèches raides, grossières comme du crin. Ses paupières, ses lèvres, ses narines et la chair de ses joues avaient entièrement disparu ou n’existaient plus qu’à l’état de lambeaux fétides. Son cou écaillé avait pris la couleur de la cendre, celle de ses mains qui pendait sur les plis de sa robe avait la rigidité d’un squelette ; les ongles étaient tombés, les jointures, là où l’os n’était pas mis à nu, n’offraient plus à la vue que des moignons de chairs tuméfiées. Son visage, son cou et sa main n’indiquaient que trop clairement ce que devait être le reste de son corps, et l’on comprenait que la veuve du prince Hur, dépouillée ainsi de sa beauté, n’eût pas eu de peine à conserver son incognito.
Elle savait que lorsque le soleil dorerait la crête du mont des Oliviers et du mont des Offenses, Amrah paraîtrait près du puits et qu’après avoir rempli sa cruche, elle viendrait la déposer, ainsi que le contenu de son panier, sur une pierre placée à mi-chemin, entre le puits et le sépulcre. Cette visite était tout ce qui restait à l’infortunée de son bonheur d’autrefois. Elle pouvait alors s’informer de son fils et la messagère lui communiquait les moindres détails de ce qu’elle avait pu apprendre à son sujet. Bien souvent, les informations faisaient entièrement défaut, parfois aussi, quoique rarement, elle apprenait qu’il était de retour chez lui. Alors, elle s’asseyait devant la porte de sa lugubre demeure et de l’aube au milieu du jour, du milieu du jour à la nuit, drapée dans ses vêtements blancs, et aussi rigide qu’une statue, elle tenait ses yeux fixés sur le point précis de l’horizon où elle savait que se trouvait l’antique demeure toujours chère à sa mémoire, mais doublement chère quand son fils l’habitait. C’était là son unique joie. Elle considérait Tirzah comme une morte et quant à elle, elle attendait sa fin, car elle se sentait mourir lentement, d’une mort heureusement sans souffrance.
Rien autour d’elle n’était de nature à lui rappeler les douceurs de la vie ; les oiseaux eux-mêmes fuyaient ce lieu, comme s’ils devinaient son histoire ; le vent qui passait sur les pentes de la montagne les brûlait
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