Ben-Hur
les yeux qu’au moment où il fut arrivé en face du divan ; alors seulement, comme s’il se souvenait tout à coup de la société en laquelle il se trouvait, il se redressa et jeta autour de lui un regard hautain et si plein de menace et de soupçon, qu’on eût dit qu’il se sentait en présence d’ennemis. C’était bien là Hérode-le-Grand, un corps usé par la maladie, une conscience chargée de crimes, un esprit d’une capacité hors ligne, une âme digne de fraterniser avec les Césars. Il avait soixante-sept ans, mais il exerçait le pouvoir d’une façon plus jalouse, plus despotique, plus cruelle que jamais.
Il se fit un mouvement dans l’assemblée ; les plus âgés se bornèrent à s’incliner, les plus serviles se levèrent et se prosternèrent même, les mains sur la poitrine. Hérode s’avança vers le vénérable Hillel, et s’appuyant des deux mains sur sa canne, lui dit d’un ton impérieux :
– Quelle est ta réponse ?
Les yeux du patriarche semblèrent reprendre un peu de vie et regardant l’inquisiteur en face, il répondit :
– Que la paix du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, soit avec toi, ô roi Hérode ! Puis laissant de côté le ton de l’invocation, il ajouta :
– Tu t’es informé auprès de nous de l’endroit où le Christ doit naître.
Le roi s’inclina, sans cesser de fixer les yeux sur le visage du sage docteur.
– Telle est ma question.
– Alors, ô roi, en mon nom, comme en celui de mes frères, je te répondrai : c’est à Bethléem de Judée.
Hillel désigna de son doigt décharné le parchemin déployé sur le trépied et reprit :
– À Bethléem de Judée, car ainsi est-il écrit par le prophète : « Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es point la plus petite entre les villes de Juda, car c’est de toi que sortira le Conducteur qui paîtra mon peuple d’Israël. »
Le visage d’Hérode se troublait, il tenait ses yeux fixés sur le parchemin, et tous les membres du Sanhédrin le considéraient avec anxiété. Enfin, sans ajouter un mot, il quitta la salle.
– Frères, dit Hillel, nous pouvons nous retirer.
Plus tard encore, les mages étaient couchés dans une des stalles du caravansérail. Leurs têtes reposaient sur des pierres qui, en les soulevant légèrement, leur permettaient de voir les profondeurs du ciel au travers des portiques dont la cour était entourée. Ils songeaient à ce que serait la manifestation nouvelle sur laquelle ils comptaient, et comme les hommes qui tendent l’oreille pour percevoir la voix de Dieu ne sauraient dormir, ils veillaient. Tout à coup un homme parut sous le portique.
– Réveillez-vous, leur dit-il, je vous apporte un message important.
– Qui nous l’envoie ? demanda l’Égyptien.
– Le roi Hérode.
Chacun d’eux tressaillit.
– N’es-tu pas l’intendant de l’hôtellerie ?
– Je le suis.
– Que nous veut le roi ?
– Son envoyé est là, il vous répondra lui-même.
– Dis-lui donc qu’il nous attende.
– Tu as dit vrai, ô mon frère ! s’écria le Grec, lorsque l’intendant se fut éloigné. La question posée au peuple, le long du chemin, et au garde sous la porte, nous a déjà rendus célèbres, hâtons-nous.
Ils se levèrent, mirent leurs sandales, ceignirent leurs manteaux et sortirent.
– Je vous salue, je vous souhaite la paix et j’implore votre pardon, mais le roi, mon maître, m’a envoyé pour vous inviter à vous rendre sans délai à son palais, où il veut vous entretenir en particulier.
À la lueur de la lampe qui brûlait dans la cour, ils se regardèrent et comprirent que l’Esprit était avec eux. Balthazar, se retournant vers l’intendant, lui recommanda à voix basse de tenir les chameaux prêts, puis il dit au messager :
– La volonté du roi est aussi la nôtre, nous te suivrons.
Silencieusement les trois amis suivirent leur guide. Ils gravirent la colline à la pâle clarté des étoiles, rendue plus pâle encore par l’ombre des murailles, interceptée même complètement, ça et là, par les voûtes qui reliaient les toits des maisons. Ils arrivèrent en face d’un portail. À la lueur du feu, brûlant dans deux grands brasiers, ils entrevirent quelques gardes, appuyés sur leurs armes. Ils passèrent sous le portail sans être inquiétés, puis au travers d’un labyrinthe compliqué de portiques, de colonnades, de rampes d’escaliers et de
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