Ben-Hur
à prendre possession du monde. » Je le vis s’arrêter devant la porte appelée la Belle. Il y avait une foule de personnes à côté de moi, sur le portique, il y en avait dans les parvis et sur les marches du temple, – il y avait peut-être là un million d’hommes et de femmes, retenant leur respiration afin de mieux entendre sa proclamation ; les colonnes du temple n’étaient pas plus immobiles que nous. Je m’imaginais que j’entendais craquer les essieux de l’énorme char de Rome. Ô prince, par l’âme de Salomon, ton roi de l’univers serra sa robe autour de lui et s’en alla : il disparut sous une porte sans avoir ouvert la bouche pour prononcer une parole, et le char de Rome roule toujours !
Jamais Ben-Hur n’avait mieux compris la vraie nature du Nazaréen qu’en ce moment, où il lui semblait assister à la scène évoquée par l’Égyptienne. Il se disait que jamais homme, guidé par des motifs purement humains, n’aurait agi de cette façon et qu’en s’éloignant ainsi de la Belle porte le Christ avait affirmé une fois de plus devant ce peuple accoutumé aux paraboles, ce qu’il lui avait déjà donné à entendre si souvent, que sa mission n’était pas une mission politique. Sa pensée, plus prompte que l’éclair, lui fit voir l’espoir de la vengeance, si longtemps caressé, disparaissant pour ne plus revenir ; en même temps, il lui semblait que l’homme au doux visage se rapprochait de lui, tellement qu’il lui communiquait un peu de son esprit.
– Fille de Balthasar, dit-il avec dignité, si c’est là le jeu dont tu parlais, garde la couronne, je te la cède. Seulement faisons trêve de paroles inutiles. Si tu as encore quelque chose à me dire, explique-toi. Je te répondrai, et puis nous nous séparerons pour suivre chacun notre chemin et nous oublierons que ces chemins s’étaient rencontrés un jour. Parle, je l’écoute.
Elle le regarda un moment, comme si elle hésitait à poursuivre, puis elle dit froidement :
– Je ne te retiens pas, laisse-moi.
– Que la paix soit avec toi ! répondit-il en se dirigeant vers la porte.
Mais au moment où il soulevait le rideau, elle le rappela. Il se retourna sans quitter sa place.
– Songe à tout ce que je sais sur toi !
– Ô belle Égyptienne, s’écria-t-il, en revenant sur ses pas, quelles sont toutes ces choses que tu sais sur mon compte ?
Elle lui jeta un coup d’œil distrait.
– Tu es plus Romain, fils de Hur, qu’aucun de tes frères Hébreux.
– Suis-je donc si différent de mes compatriotes ?
– Les demi-dieux sont tous romains, à présent. Peut-être cela pourrait-il m’aider à te sauver.
– À me sauver ?
Ses doigts teints de rouge jouaient toujours avec son collier, et sa voix avait des accents singulièrement doux, mais elle frappait le sol du bout de sa sandale de soie d’une manière qui avertissait Ben-Hur de ne pas se fier à elle.
– Il y eut une fois un Juif, un esclave échappé aux galères, qui tua un homme dans le palais d’Idernee, commença-t-elle lentement.
Ben-Hur tressaillit.
– Ce même Juif tua un soldat romain sur la place du marché, ici même, à Jérusalem ; ce même Juif a trois légions de Galiléens prêtes à s’emparer cette nuit du gouverneur romain ; ce même Juif a formé des alliances, en vue d’une guerre contre Rome, et le cheik Ilderim est un de ses alliés.
Elle vint tout près de lui, et murmura si bas, qu’il l’entendait à peine :
– Tu as vécu à Rome, – suppose un instant que toutes ces choses reviennent à des oreilles que nous connaissons. – Ah ! tu changes de couleur.
Il recula, de l’air d’un homme qui croyait jouer avec un chat et qui se trouve tout à coup en face d’un tigre.
– Tu as fréquenté les antichambres de l’empereur et tu connais Séjan. Suppose qu’on vienne lui dire, les preuves en mains, – ou sans preuves, – que ce même Juif est l’homme le plus riche, non seulement de l’Orient, mais de tout l’empire. C’est un art de savoir amuser le peuple romain et Séjan le possède, mais il excelle plus encore à se procurer l’argent pour payer tous ces amusements !
– Si cela peut t’être agréable, fille de l’Égypte, je te dirai que je m’incline devant ta fourberie, et je reconnaîtrai que je suis à ta merci ; tu seras peut-être flattée d’apprendre également que je n’espère rien de ta faveur. Je pourrais te
Weitere Kostenlose Bücher