Ben-Hur
tuer si tu n’étais une femme, sache cependant que le désert est prêt à m’offrir un asile et que, si bons chasseurs d’hommes que soient les Romains, ils pourraient m’y chercher longtemps sans découvrir ma retraite. Mais quoique je sois tombé dans le piège et que tu aies réussi à faire de moi ta dupe, j’ai le droit d’exiger que tu me dises qui t’a appris ce que tu sais. Que je sois fugitif, captif ou même mourant, il y aura pour moi une consolation à pouvoir laisser à ce traître la malédiction d’un homme qui n’a connu en ce monde que l’infortune. Parle, qui donc t’a renseignée ?
Quelque chose qui ressemblait à de la sympathie, sincère ou simulée, passa sur le visage de l’Égyptienne.
– Il y a dans mon pays, dit-elle, des hommes qui recueillent des coquillages aux couleurs variées, ici et là, sur les plages de la mer, puis ils les taillent et forment des tableaux en incrustant dans du marbre ces différents morceaux. Ceux qui sont à l’affût des secrets des autres procèdent de la même manière. J’ai recueilli, de la bouche de celui-ci ou de celui-là, les matériaux avec lesquels j’ai reconstruit ton histoire. Ilderim m’en a fourni une partie. C’était un soir, au désert, il parlait à mon père ; le silence de la nuit était profond et les parois de la tente n’empêchaient pas ses paroles de pénétrer jusqu’à une personne qui tendait l’oreille afin d’entendre voler les mouches. Je tiens d’autres détails de… Elle s’arrêta en souriant.
– De qui ?
– Du fils de Hur, lui-même !
– Personne d’autre ne t’a parlé de moi ?
– Non, personne.
Il poussa un soupir de soulagement et lui dit d’un ton léger :
– Je te remercie. Tu aurais tort de laisser Séjan t’attendre plus longtemps !
– Reste encore ! s’écria-t-elle, en tendant une de ses mains vers lui.
Il ne prit pas cette main couverte de bijoux, mais il la regarda d’un air interrogateur.
– Ne te méfie pas de moi, fils d’Arrius ! Je sais pourquoi le noble Romain a fait de toi son héritier, et par tous les dieux de l’Égypte, je te jure que je tremble en songeant que toi, si brave, si généreux, tu pourrais tomber entre les mains de ce ministre impitoyable. Tu as passé une partie de ta vie dans la grande capitale ; considère ce que ce serait pour toi, que de passer au désert le reste de ton existence. Oh ! j’ai pitié de toi, et si tu veux faire ce que je te dirai, je te sauverai.
Elle avait prononcé ces paroles avec l’accent de la supplication et de la prière, et sa beauté leur donnait une puissante sanction.
– Je suis presque tenté de te croire, murmura Ben-Hur.
– Une femme n’est heureuse que tant qu’elle aime ; pour un homme, le bonheur parfait consiste à se vaincre lui-même. C’est là ce que je voudrais te prier de faire.
Elle parlait avec animation, et jamais elle n’avait exercé sur lui une plus grande fascination.
– Tu avais un ami, aux jours de ton enfance, poursuivit-elle. Vous vous querellâtes et vous devîntes ennemis. Il te fit du mal et, bien des années plus tard, tu le rencontras au cirque d’Antioche !
– Messala !
– Oui, Messala. Tu es son créancier ; pardonne le passé, admets-le de nouveau au nombre de tes amis, rends-lui la fortune qu’il a perdue par son énorme pari, sauve-le. Ces six talents ne seraient rien pour toi, tandis que pour lui… Ah ! songe qu’il est infirme, que jamais plus il ne pourra se mesurer avec toi ! Pour un Romain de son rang, la pauvreté est pire que la mort, sauve-le de la pauvreté !
La rapidité avec laquelle elle parlait avait pour but d’ôter à son interlocuteur le temps de la réflexion, mais elle oubliait qu’il y a des choses trop ancrées dans le cœur d’un homme pour que rien puisse les en arracher. Quand enfin elle s’arrêta pour attendre sa réponse, Ben-Hur crut voir Messala le regarder par dessus l’épaule de l’Égyptienne, et son visage n’était pas celui d’un pénitent ou d’un ami : le sourire du patricien était plus provoquant, plus sarcastique que jamais…
– La cause a été jugée une fois, sans appel possible, et Messala n’obtiendra jamais rien de moi, s’écria-t-il, mais dis-moi, ô Égyptienne, si lui-même t’a chargée de me présenter cette requête ?
– Il a une noble nature, il te juge d’après lui-même !
– Puisque tu le connais si
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