Ben-Hur
vers la cour, et d’où un autre montait sur le toit. Ce fut celui-là qu’il choisit. Lorsqu’il eut atteint la dernière marche, il s’arrêta, saisi d’un doute soudain. Balthasar avait-il été le complice de sa fille ? Non, non, cela ne se pouvait pas. L’hypocrisie ne s’allie guère aux rides du visage et Balthasar, d’ailleurs, n’était-il pas la bonté même ?
Tranquillisé sur ce point, il traversa le toit pour se rendre au pavillon d’été. La lune brillait, le ciel était éclairé par la lumière plus vive des feux qui brûlaient dans toutes les rues et sur toutes les places de la ville, et les voix innombrables qui chantaient la vieille psalmodie d’Israël remplissaient l’air de plaintives harmonies. Il s’arrêta pour mieux écouter. Il lui semblait que toutes ces voix répétaient : « C’est ainsi, ô fils de Juda, que nous témoignons de notre adoration pour l’Éternel et de notre amour pour le pays qu’il nous a donné. Qu’un Gédéon, un David ou un Machabée vienne à paraître et nous serons prêts ».
L’intérieur du pavillon était à demi plongé dans l’obscurité ; cependant il distinguait le fauteuil de Simonide, placé à l’endroit d’où l’on pouvait le mieux voir la ville, dans la direction de la place du marché.
Supposant que le marchand était rentré, il s’avança pour lui parler, en prenant soin de ne pas faire de bruit, afin de ne pas l’éveiller s’il sommeillait. Il se pencha au-dessus du haut dossier et aperçut Esther qui dormait, blottie dans le fauteuil, où elle paraissait toute menue. Ses cheveux retombaient sur son visage, sa respiration était courte et entrecoupée de soupirs qui ressemblaient à des sanglots. Ces soupirs lui firent supposer qu’elle s’était endormie de chagrin, plutôt que de fatigue, comme cela arrive souvent aux enfants, car il s’était accoutumé à la considérer comme telle. Il posa son bras sur le dossier du haut fauteuil et se mit à songer en la contemplant. « Je ne l’éveillerai pas, pensait-il, je n’aurais rien à lui dire… Elle est une fille de Juda et si belle, si douce, elle ne ressemble pas à l’Égyptienne, – celle-là n’était que vanité, celle-ci est la sincérité même – chez l’une il n’y a qu’ambition et qu’égoïsme, l’autre ne connaît que le devoir et l’oubli d’elle-même. Ah ! c’est elle que j’aurais dû aimer ! Personne ici ne sait encore que j’ai retrouvé ma mère et ma sœur, je reculais à l’idée de le raconter à l’Égyptienne, mais comme Esther se réjouira avec moi, quand elle le saura, avec quelle affection elle les accueillera ! Elle sera une fille pour ma mère, une amie pour Tirzah. Je voudrais l’éveiller pour lui en parler, mais je ne puis pas le faire, quand j’entends encore retentir à mes oreilles les accents de cette sorcière d’Égypte. Je m’en irai et j’attendrai des temps meilleurs. Dors en paix, douce Esther, fille de Juda ! » Et silencieusement, ainsi qu’il était venu, il se retira.
CHAPITRE XLIV
La plus grande animation régnait dans les rues. Autour des feux on mangeait, on chantait, on festoyait. L’odeur des viandes et celle de la fumée du bois de cèdre se mélangeaient dans l’air ; en ce moment où les Israélites se sentaient liés par un lien tout particulier de confraternité, ils exerçaient les uns envers les autres une hospitalité sans bornes, aussi Ben-Hur s’entendait-il appeler à tout moment.
Viens partager notre repas, lui criait-on, ne sommes-nous pas frères en l’Éternel ? Mais il se contentait de remercier et ne se laissait point arrêter, il lui tardait de retrouver son cheval et de rentrer à sa tente, au bord du Gédron.
Il lui fallait, pour gagner l’hôtellerie, traverser la rue étroite à laquelle les événements allaient bientôt donner une célébrité qu’elle devait conserver à travers les âges. Là aussi, la célébration de la fête avait atteint son point culminant. Il aperçut bientôt, au bout de cette rue, des torches allumées qui s’avançaient de son côté, puis il remarqua que le bruit des chants cessait à l’approche des torches. Grand fut son étonnement lorsqu’il vit briller, au milieu de la fumée et des étincelles, des pointes de lances qui indiquaient la présence de soldats romains. Qu’avaient donc à faire ces légionnaires au milieu de Juifs célébrant une fête religieuse ? Cela lui paraissait
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