Ben-Hur
comprendre ce qui pouvait amener une pareille compagnie, en une heure si tardive, dans cet endroit solitaire, quand ceux qui marchaient devant lui s’arrêtèrent brusquement. On entendait un bruit de voix excitées, le désordre se mettait dans les rangs du cortège, et tous ces hommes, refoulés les uns contre les autres, vacillèrent pendant un moment sur leurs jambes ; seuls les soldats se maintenaient en place, sans broncher.
Il ne fallut qu’un instant à Ben-Hur pour se dégager et courir en avant, afin de voir ce qui avait causé cet arrêt subit. Il se trouva bientôt en face d’une ouverture pratiquée dans le mur d’enceinte du jardin. Un homme, en vêtements blancs, se tenait debout près de cette ouverture, la tête nue, les mains croisées devant lui, dans une attitude expectante et résignée. C’était le Nazaréen !
Derrière lui se tenaient ses disciples qui paraissaient fort excités, mais jamais homme n’eut l’air plus calme que lui. La lumière rougeâtre des torches donnait à son visage une teinte plus colorée que celle qui lui était habituelle ; toutefois son expression était, comme de coutume, pleine de douceur et de pitié. En face de cette figure si peu martiale, la populace demeurait silencieuse, effrayée, prête à fléchir les genoux, ou à se disperser et à se sauver, s’il eût fait seulement un geste de colère. Les regards de Ben-Hur allèrent de lui à la foule, puis ils s’arrêtèrent sur Judas, et la raison de cette manifestation devint claire à ses yeux. Il comprit qu’il voyait devant lui un traître venu en ces lieux afin de livrer son maître à ces gens, armés de pieux et de gourdins.
Nul ne saurait dire d’avance comment il agira à un moment donné. L’occasion attendue par Ben-Hur depuis de longues années venait de se produire : l’homme à la défense duquel il avait consacré sa vie et sur lequel il avait fondé de si grandes espérances se trouvait en péril et pourtant, par une de ces contradictions dont la nature humaine est coutumière, il demeurait immobile. Il était encore sous l’impression qu’il avait ressentie lorsque l’Égyptienne lui dépeignait le Christ devant la Belle-Porte, et puis le calme avec lequel cet être mystérieux considérait la populace contribuait à l’empêcher d’agir, parce qu’il y voyait la preuve d’une puissance capable de résister à un danger infiniment plus grand que celui de l’heure présente. Le Nazaréen, après avoir prêché sans cesse la paix, la bienveillance, l’amour, le support, allait-il mettre ses enseignements en pratique ? Il était le maître de la vie : il pouvait la rendre à ceux qui l’avaient perdue, ou la reprendre, selon son bon plaisir. Quel usage allait-il faire de ce pouvoir ? L’emploierait-il à se défendre ? Et comment ? Un mot, un souffle, une pensée, lui suffirait peut-être. Ben-Hur ne doutait pas qu’il ne dût, en tous cas, signaler sa puissance surnaturelle d’une façon éclatante, car il jugeait du Christ d’après lui-même, et le mesurait à son humaine mesure. Enfin, la voix claire du Nazaréen se fit entendre.
– Qui cherchez-vous ?
– Jésus de Nazareth, répondit le prêtre.
– C’est moi !
À l’ouïe de ces simples paroles, prononcées sans passion comme sans alarme, les assaillants reculèrent ; les moins hardis semblaient être prêts à rentrer sous terre ; ils l’auraient peut-être laissé et s’en seraient allés, si Judas ne s’était avancé vers lui.
– Maître, je te salue, lui dit-il, et il le baisa.
– Judas, lui dit le Nazaréen, trahis-tu ainsi le Fils de l’homme par un baiser ? Pour quel sujet es-tu ici ?
Comme il ne recevait pas de réponse, il leur demanda encore une fois :
– Qui cherchez-vous ?
Et ils répondirent :
– Jésus de Nazareth.
– Je vous ai dit que c’est moi ; si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci.
En entendant ces paroles, les rabbis s’avancèrent pour se saisir de lui, et quelques-uns des disciples pour lesquels il venait d’intercéder s’approchèrent. L’un d’eux coupa l’oreille d’un homme qui se trouvait près de là, mais sans que cela servît de rien à son maître. Quant à Ben-Hur, il persistait à demeurer passif. Pendant que les officiers préparaient leurs cordes, le Nazaréen accomplissait son plus grand acte de charité, celui du moins qui devait prouver de la manière la
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