Ben-Hur
servir son jeune maître. Son visage foncé était celui d’une femme de cinquante ans, une expression de tendresse, presque maternelle, adoucissait le regard de ses yeux noirs. Un turban blanc entourait sa tête en laissant à découvert ses oreilles dont le lobe était percé, en signe de servitude, d’un trou fait au moyen d’un dard. C’était une esclave, une Égyptienne, à laquelle l’année sainte du Jubilé n’apporterait pas la liberté, mais qui d’ailleurs ne l’aurait pas acceptée, car le jeune homme qu’elle servait était toute sa vie. Elle l’avait soigné depuis sa tendre enfance ; à ses yeux il ne serait jamais un homme.
– Te souviens-tu, mon Amrah, dit-il tout en mangeant, de ce Messala qui venait souvent ici, autrefois ?
– Je m’en souviens.
– Il était parti pour Rome, il y a quelques années. Il est revenu et je suis allé le voir aujourd’hui.
Un frisson de dégoût le secoua.
– Je savais qu’il t’était arrivé quelque chose, dit Amrah, d’un air de profond intérêt. Je n’ai jamais aimé ce Messala. Raconte-moi tout.
Mais il semblait n’avoir plus envie de parler et à toutes ses questions il répondit seulement :
– Il a beaucoup changé. Je n’aurai plus rien à faire avec lui.
Quand Amrah se fut éloignée, emportant le plateau, il se leva, quitta la chambre et se rendit sur le toit.
Quand la chaleur du jour, si forte pendant les étés de Syrie, était passée, et que les ombres s’allongeaient au revers des montagnes, on s’en allait, alors comme aujourd’hui, chercher un peu de fraîcheur sur les toits qui devenaient, pour la soirée, le rendez-vous des familles, l’endroit où l’on faisait de la musique, où l’on dansait, où l’on rêvait, où l’on priait, et que chacun s’efforçait de rendre aussi confortable que possible.
Les parapets, ordonnés par la loi de Moïse, étaient devenus de bonne heure des chefs-d’œuvre de l’art du potier ; plus tard on avait élevé sur les toits des tours, aux formes fantastiques, puis les rois y firent construire des pavillons de marbre et d’or, enfin l’extravagance atteignit son point culminant avec les jardins suspendus de Babylone.
Le jeune Juif marchait lentement dans la direction d’une tourelle, qui occupait l’angle nord-ouest du toit du palais. Il souleva le rideau qui en fermait l’entrée et se trouva dans une chambre coupée par de larges baies en forme d’ogives, au travers desquelles on apercevait les profondeurs du ciel étoilé. On distinguait vaguement une femme, enveloppée de blanches draperies, à demi-couchée sur un divan. Au bruit des pas du jeune homme, elle laissa son éventail glisser à terre, se leva et appela :
– Juda ! mon fils !
– Oui, c’est moi, répondit-il en s’avançant.
Il s’agenouilla à ses pieds, tandis qu’elle l’entourait de ses bras et le serrait contre elle en l’embrassant.
La mère reprit sa place sur le divan, tandis que son fils s’étendait à ses pieds et appuyait sa tête sur ses genoux.
– Amrah m’a appris que quelque chose t’a fait de la peine, dit-elle d’une voix douce en lui caressant la joue. Quand mon Juda était enfant, je lui permettais de se laisser troubler par de petites choses, mais il est un homme maintenant. Il ne faut pas qu’il oublie qu’il doit être un jour mon héros.
Elle parlait une langue presque oubliée dans le pays, mais dont quelques familles, les plus riches et les plus anciennes, se servaient toujours, pour mieux se distinguer des gentils – la langue dans laquelle Rebecca chantait pour endormir Ésaü et Jacob. – Juda restait silencieux, plongé dans ses réflexions ; enfin il lui dit en prenant la main avec laquelle elle l’éventait lentement :
– Aujourd’hui, mère, j’ai pensé à beaucoup de choses, auxquelles je n’avais jamais songé jusqu’ici. Avant tout, je voudrais savoir ce que je dois devenir ?
– Ne te l’ai-je pas dit déjà ? Tu seras mon héros.
– Jamais personne ne m’aimera autant que toi, ô ma mère ! – il couvrait ses mains de baisers tout en parlant – et je comprends pourquoi tu ne veux pas répondre à ma question. Jusqu’ici ma vie t’appartenait, tu l’as faite douce et facile, je voudrais qu’elle pût toujours continuer ainsi, mais cela ne saurait être. La volonté du Seigneur est que je sois un jour mon propre maître, et ce jour sera pénible pour toi, car il sera celui qui
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