Ben-Hur
nous séparera. Ayons le courage d’en parler sérieusement. Je serai ton héros, si tu veux, mais aide-moi à le devenir. Tu connais la loi, elle ordonne que chaque fils d’Israël ait une occupation, et maintenant je vais te demander quelle sera la mienne ? Serai-je berger, labourerai-je la terre, moudrai-je le blé, serai-je un docteur de la loi, un scribe ? Aide-moi à choisir.
– Gamaliel a enseigné aujourd’hui, dit-elle d’un ton rêveur.
– Je ne sais, je ne l’ai pas entendu.
– Alors tu as vu Siméon ?
– Je ne l’ai pas vu. Je ne suis pas allé dans le temple, mais au palais. J’ai fait une visite au jeune Messala.
– Qu’a-t-il pu te dire, pour te troubler ainsi ?
– Il est bien changé.
– Par où tu entends qu’il est devenu un vrai Romain ?
– Oui !
– Un Romain, murmura-t-elle, pour le monde entier, cela signifie un maître !
– Les paroles de Messala étaient mordantes en elles-mêmes, mère, mais la manière dont il les prononçait m’a paru intolérable.
– Je le comprends ; à Rome, les poètes, les orateurs, les sénateurs, les courtisans affectent de parler de tout d’un ton satirique.
– Je suppose que tous les grands peuples sont orgueilleux, continua-t-il ; mais l’orgueil de celui-là dépasse tous les autres ; c’est à peine s’il considère encore ses dieux comme supérieurs à lui.
– Ses dieux ! Plus d’un Romain a accepté, comme un droit, les honneurs divins.
– Messala a toujours participé aux défauts de sa nation. Lorsqu’il était enfant, je l’ai vu se moquer d’étrangers qu’Hérode lui-même condescendait à recevoir avec de grandes marques de respect ; pourtant il épargnait toujours la Judée, mais aujourd’hui, devant moi, il parlait en plaisantant de nos coutumes et de notre Dieu. Je l’ai quitté, comme toi-même tu aurais désiré me le voir faire. Et maintenant, dis-moi s’il existe une raison qui justifie les dédains du Romain. En quoi lui suis-je inférieur ? Pourquoi, même en face de César, me sentirais-je un esclave ? Dis-moi pourquoi, si je m’en sentais capable et si j’en éprouvais le désir, je devrais renoncer à cueillir des lauriers dans l’une ou l’autre des carrières que le monde peut offrir ? Pourquoi ne pourrais-je pas ceindre une épée et me livrer à la passion de la guerre ? Pourquoi ne saurais-je chanter tous les sujets qui touchent à l’âme humaine ? Je puis travailler les métaux, garder les troupeaux, devenir marchand, pourquoi ne serais-je pas un artiste ? Dis-moi, car c’est là ce qui cause ma peine, pourquoi un fils d’Israël ne ferait-il pas ce que fait un Romain ?
Elle posa la main sur le front du jeune homme et leva ses regards vers les étoiles. Les paroles de son fils rencontraient dans son cœur une parfaite sympathie ; cependant elle craignait, si elle ne parvenait pas à lui répondre d’une manière entièrement satisfaisante, de laisser subsister en lui un sentiment d’infériorité, sous lequel il se sentirait toute sa vie comme écrasé, aussi elle hésitait à parler. Enfin elle s’écria :
– Ne te laisse pas abattre, Juda. Messala est de noble race, au jour de la République un de ses ancêtres s’est illustré, qu’est-ce que cela ? Comment un Romain pourrait-il parler de l’ancienneté de sa famille, en face d’un fils d’Israël ? Il ne saurait faire remonter ses origines au-delà de la fondation de Rome, à moins de s’appuyer uniquement sur la tradition, tandis que, ô mon fils ! le jour de ta présentation dans le temple, après que nous eûmes sacrifié les pigeons exigés par la loi, tu fus inscrit dans un registre dont l’institution, à ce qu’assure Hillel, remonte à Abraham. « Juda, fils d’Ithamar, de la maison d’Hur, » tel est ton nom, et, grâce à ces registres, conservés avec tant de soin, nous savons que tu descends d’Hur qui, avec Aaron, soutenait les mains de Moïse, en Réphidim.
– Je te remercie de ce que tu viens de me dire, mère, dit Juda en prenant ses mains dans les siennes. Oui, nous sommes une famille ancienne, mais en quoi nous sommes-nous distingués, et moi, que puis-je être ?
– Je sens, mon Juda, que Messala a semé le doute dans ton cœur, touchant ton peuple. Afin que je puisse te répondre, raconte-moi ce qu’il t’a dit.
Alors, le jeune Israélite répéta sa conversation avec le Romain, en insistant
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