Ben-Hur
sur la manière dédaigneuse dont il avait parlé des coutumes du peuple juif et des restrictions qui l’entravaient dans tous les domaines.
Sa mère l’écoutait et, mieux que lui, comprenait ce qui s’était passé. Au lieu du compagnon de jeux qu’il venait chercher, Juda avait trouvé, au palais, un homme dévoré du désir de posséder la gloire, la puissance, la richesse. Il revenait de sa visite blessé dans sa fierté, mais saisi, à son tour, d’ambition. Il ne s’en rendait pas compte encore, mais elle le devinait, et, ne sachant de quel côté ses aspirations nouvelles l’entraîneraient, elle sentait s’éveiller ses craintes de mère juive. Si son fils allait se détourner de la foi de ses pères ? Rien de pire, à ses yeux, n’aurait pu lui arriver et pour l’arracher à ce danger, elle était prête à tout tenter.
– Ton ami, – ou plutôt celui qui fut ton ami – si je te comprends-bien, prétend que nous n’avons eu ni poètes, ni artistes, ni guerriers, par où il voulait dire, sans doute, que nous n’avons jamais eu de grands hommes ! s’écria-t-elle avec une énergie qui donnait à sa voix quelque chose de masculin. Mais il faut s’entendre sur ce mot de grand homme. Un grand homme, ô mon enfant, c’est un homme que Dieu a choisi pour être l’instrument de sa volonté et dont il s’est servi pour accomplir ses desseins. Comme les autres peuples de la terre, nous sommes, hélas ! tombés sous le joug des Romains. Ils possèdent nos places fortes et nos lieux saints et nul homme ne peut dire quelle sera la durée de leur domination, mais ce que je sais, c’est qu’ils pourront bien broyer la Judée entre leurs mains, comme une amande, et dévorer Jérusalem, sans que la gloire des fils d’Israël en soit obscurcie, car leur histoire est celle de Dieu lui-même. Ne s’est-il pas servi de leurs mains pour écrire, de leur langue pour parler, n’a-t-il pas été leur législateur sur le Sinaï, leur guide dans le désert, en temps de guerre leur capitaine et leur roi aux jours de la prospérité !
Pendant un moment, le bruit de son éventail fut seul à rompre le silence, puis elle continua :
– Si l’on veut limiter l’art à la peinture et à la sculpture, il est vrai qu’Israël n’a pas eu d’artistes.
Elle disait cela comme à regret, car elle était Saducéenne et en cette qualité elle admirait la beauté sous toutes ses formes, contrairement à ce que permettaient les Pharisiens.
– Pour nous rendre justice, reprit-elle, il faut se souvenir que nos mains sont liées par ce commandement : « tu ne te feras aucune image taillée, ni aucune ressemblance des choses qui sont là-haut dans les cieux, ni ici-bas sur la terre, » qui a été mal interprété et pris trop à la lettre. Comment oublier cependant que bien avant qu’il ait existé des statues grecques, deux Israélites, Betzaléel et Aholiab, ont sculpté les chérubins de l’arche, ces chérubins d’or pur, dont personne ne saurait prétendre qu’ils n’aient pas été d’une beauté parfaite !
– Ah ! s’écria Juda, l’arche de l’alliance ! Maudits soient les Babyloniens qui l’ont détruite !
– Non, Juda, aie foi dans l’avenir. Elle n’a pas été détruite, mais seulement trop bien cachée dans quelque caverne. Un jour, Hillel et Schammaï l’assurent, quand le Seigneur le trouvera bon, on la découvrira et, comme au temps de David, les Israélites chanteront et danseront devant elle. Alors les Grecs eux-mêmes s’inclineront devant le génie des Juifs.
– Tu es bonne, ma mère, je ne me lasserai jamais de le dire. Shammaï et Hillel eux-mêmes ne parleraient pas mieux que toi. Je me sens redevenir un vrai fils d’Israël.
– Où donc en étais-je restée, Juda ? Ah ! oui, je réclamais pour les Hébreux l’honneur d’avoir créé les chérubins d’or. Mais à cela ne se borne pas tout leur art et d’ailleurs ce n’est pas l’art qui constitue leur grandeur. À qui a-t-il été donné de porter le flambeau de la Révélation ? N’est-ce pas aux enfants de Juda ? Ô pères de notre peuple, serviteurs de Dieu, vous avez été choisis pour transmettre la lumière au monde ; quand bien même chaque Romain serait un César, vous marcheriez encore devant eux !
Juda tressaillit à ces paroles.
– Il me semble, dit-il, que j’entends le son des cymbales et la voix de Myriam.
– Si tu entends la voix de la
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