Ben-Hur
paraboles ? L’autre jour la grande Fulvie s’en était allée pêcher, elle prit plus de poissons que personne et l’on assurait que cela tenait à ce qu’elle se servait d’un hameçon d’or.
– Ainsi tu ne plaisantais pas ?
– Je vois, Juda, que je ne t’ai point fait une offre suffisante, répondit promptement le Romain, dont les yeux étincelaient. Quand je serai préfet, avec la Judée pour m’enrichir, je te nommerai souverain pontife.
Le Juif se détourna avec colère.
– Ne me quitte pas ainsi, dit Messala, – et il ajouta en voyant que le jeune homme hésitait : – Les rayons du soleil sont brûlants, cherchons un peu d’ombre !
Juda reprit froidement :
– Je voudrais n’être point venu. Je cherchais un ami, j’ai trouvé un…
– Un Romain !
Le poing du Juif se contracta, mais il se contint. Messala se leva, prit son manteau et, rejoignant son compagnon, il lui passa son bras sur l’épaule.
– C’est ainsi que nous marchions ensemble, quand nous étions enfants ; laisse mon bras reposer là, jusqu’à la porte.
Évidemment Messala s’efforçait d’être aimable, et bien que son visage gardât son expression ironique, Juda le laissa faire.
– Tu es encore un enfant, je suis déjà un homme, je veux te parler en cette qualité.
L’air de complaisance du Romain était superbe. Mentor enseignant Télémaque n’aurait pu paraître plus à son aise.
– Crois-tu aux Parques ? Non, car tu es Saducéen et seuls, parmi vous, les Esséniens sont assez sages pour croire aux trois sœurs. Combien elles sont promptes à contrecarrer nos plans ! Je fais des projets, je suis sur le point de les réaliser ; tout à coup j’entends derrière moi grincer des ciseaux ! Je tourne la tête, c’est elle, Atropos la maudite ! Mais, mon Juda, pourquoi t’indignais-tu quand je parlais de succéder au vieux Cyrénius ? Tu pensais que je désirais m’enrichir aux dépens de la Judée. Pourquoi ne serait-ce pas moi aussi bien qu’un autre Romain ?
Juda ralentit son pas.
– D’autres avant vous ont régné sur la Judée, dit-il en levant une main. Où sont-ils, Messala ? Elle leur a survécu à tous, ce qui a été sera encore !
– Ah ! je vois que les Parques ont des disciples en dehors des Esséniens !
– Je n’en fais pas partie. Ma foi repose sur le roc qui a servi de fondation à la foi de mes pères, bien avant Abraham, sur l’Éternel, le Dieu d’Israël.
– Tu parles avec trop de passion, Juda ! Comme mes maîtres m’auraient désapprouvé si je m’étais pareillement animé en leur présence ! Mais j’ai autre chose à te dire et je te prie de m’écouter. Je voudrais t’être utile, mon fils, car je t’aime, – autant que je puis aimer. Je t’ai déjà parlé de mon intention d’être soldat. Pourquoi ne le serais-tu pas aussi ? Pourquoi ne sortirais-tu pas du cercle de fer que la loi et les coutumes de ton peuple ont tracé autour de toi ?
Juda ne répondit pas.
– Qui sont les sages d’aujourd’hui ? Ce ne sont pas ceux qui passent leur vie à discuter sur des choses mortes, telles que Baal, Jupiter ou Jehova. Cite-moi un seul grand homme qui ne doive pas sa gloire à ce qu’il a su tirer parti des circonstances, à ce qu’il n’a rien tenu pour sacré de ce qui pouvait l’empêcher de marcher vers son but. Regarde Hérode, les Macchabées, nos premiers Césars. Imite-les, et Rome sera prête à t’aider, comme elle a aidé l’Iduméen.
Le jeune Juif tremblait de rage.
– Rome, Rome ! murmura-t-il.
– Réfléchis, continuait Messala. Abandonne les folles instructions de Moïse et considère la situation telle qu’elle est. Rome est toute puissante, la Judée n’est que son jouet.
Ils étaient arrivés à la porte. Juda repoussa doucement la main de Messala et lui dit :
– Tu es un Romain et tu ne saurais comprendre un Israélite ; nous ne pourrons plus être jamais les amis que nous avons été. Que la paix du Dieu de mes pères soit avec toi !
Il s’éloigna, suivi des yeux par le Romain ; puis celui-ci quitta à son tour le jardin en murmurant :
– Qu’il en soit comme il voudra. La guerre est tout, l’amour n’est rien !
CHAPITRE VIII
Lorsqu’on entrait dans la sainte cité par la porte appelée aujourd’hui porte de Saint-Étienne, on trouvait devant soi une rue étroite qui, suivant une ligne parallèle à la
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