Ben-Hur
circonstance n’aurait pas suffi à retenir l’attention du tribun, mais la perfection de ses formes et la souplesse de ses mouvements excitaient son intérêt : ayant beaucoup fréquenté à Rome les écoles de gladiateurs, il se piquait de se connaître en hommes.
– Par les dieux ! se dit-il, cet homme me plaît et je voudrais voir son visage de face. Il faudra que je m’informe de lui.
Comme s’il devinait les pensées du commandant, le rameur tourna la tête de son côté et le regarda.
– Un Juif ! Et un adolescent !
Les grands yeux de l’esclave se dilatèrent sous le regard fixé sur lui ; le sang afflua à ses tempes et, pendant une seconde, la rame demeura immobile dans sa main ; il fallut un coup plus fort frappé sur la table pour le rappeler à l’ordre. Il tressaillit, se détourna et reprit son travail. Quand il se hasarda de nouveau à jeter les yeux sur le tribun, il fut profondément étonné de découvrir sur son visage un sourire bienveillant, qui semblait s’adresser à lui.
Pendant ce temps, la galère était entrée dans le détroit de Messine et, après avoir passé près de la cité du même nom, elle voguait vers l’Orient, laissant derrière elle l’Etna, au-dessus duquel s’élevait un panache de fumée.
Toutes les fois qu’Arrius reprenait sa place sur la plateforme, d’où il étudiait les rameurs, il se disait :
– Il y a de l’intelligence dans cet individu ; j’arriverai à savoir son histoire.
Quatre jours venaient de s’écouler et l’ Astra – c’était le nom de la galère – se trouvait maintenant dans la mer Ionienne. Le ciel était serein et les vents témoignaient de la faveur des dieux.
Comme on pouvait rejoindre la flotte avant même d’avoir atteint la baie d’Antemone, située sur la côte orientale de l’île de Cythère, Arrius, pris d’impatience, passait son temps sur le pont ; quand il était sur la plateforme, ses pensées revenaient invariablement à l’esclave auquel il s’intéressait.
– Connais-tu l’homme qui occupait tout à l’heure ce banc ? demanda-t-il enfin au chef des rameurs, qui venait de relayer une compagnie.
– Le numéro soixante ?
– Oui, c’est de lui que je parle.
Le chef regardait attentivement les hommes qui s’éloignaient.
– Tu sais qu’il n’y a qu’un mois que ce bateau est sorti des mains du constructeur ; tous ces rameurs sont pour moi aussi nouveaux que lui.
– C’est un Juif, dit Arrius d’un ton pensif.
– Le noble Quintus prouve qu’il est observateur.
– Il est très jeune, continua Arrius.
– Mais il n’en est pas moins mon meilleur rameur, j’ai vu sa rame plier à se casser.
– Quelles sont ses dispositions ?
– Il est obéissant, je n’en sais pas davantage. Un jour, cependant, il m’a adressé une requête.
– Laquelle ?
– Il me demandait de le placer alternativement à gauche et à droite.
– Te disait-il la raison de ce désir ?
– Il avait observé que les hommes qui rament toujours du même côté finissent par devenir contrefaits ; de plus, il disait qu’en un moment de tempête ou de bataille, on pourrait avoir besoin de le changer de place et que, s’il ne s’y habituait pas d’avance, il serait de peu d’utilité en pareil cas.
– Perpol ! Cette idée est neuve ! Quelles autres observations as-tu faites à son sujet ?
– Il tient à la propreté, plus que tous ses compagnons.
– En cela il est Romain ! s’écria Arrius avec un signe d’approbation. Et tu ne sais rien de son histoire ?
– Pas un mot.
Le tribun réfléchit un moment, puis il se rassit en disant :
– Si je me trouvais être sur le pont quand il aura fini sa tâche, envoie-le-moi et qu’il vienne seul.
Environ deux heures plus tard, Arrius était debout sous le pavillon de la galère, dans la disposition d’esprit d’un homme qui va à la rencontre d’un événement important et qui en est réduit à n’avoir pas d’autre chose à faire qu’à l’attendre, – une de ces situations où il faut une forte dose de philosophie pour demeurer calme. Le pilote était assis non loin de lui, une main sur la corde qui faisait manœuvrer les deux palettes placées de chaque côté du navire. Quelques matelots dormaient, à l’ombre de la voile, et sur la vergue se tenait une sentinelle. Arrius, qui considérait le cadran solaire placé au-dessous du pavillon, leva les yeux
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