Ben-Hur
pouvait douter de son innocence, et la pensée de la rigueur avec laquelle on avait sévi, pour faire expier un accident au jeune Juif, révoltait le tribun.
Il savait bien être inexorable, l’exercice de sa charge l’exigeait d’ailleurs, mais il était juste aussi et lorsqu’on lui signalait une injustice, il n’avait repos ni trêve qu’il ne l’eût fait cesser, aussi tous ceux qui servaient sous ses ordres finissaient-ils infailliblement par l’appeler le bon tribun.
L’histoire de Ben-Hur le préoccupait, cependant il hésitait sur le parti à prendre, il possédait sur son navire un pouvoir illimité et tout le poussait à user de miséricorde, mais il se dit que rien ne pressait, si ce n’était de gagner Cythère au plus vite, et qu’il ne devait pas, en un pareil moment, se priver des services d’un excellent rameur. De plus, il voulait prendre des informations, afin de s’assurer qu’il n’avait point à faire avec un de ces vulgaires menteurs, si nombreux parmi les esclaves.
– Cela suffit, dit-il à haute voix, va reprendre ta place.
Ben-Hur s’inclina et regarda encore une fois le visage d’Arrius, sans y rien découvrir qui lui permît de concevoir quelque espoir. Il se détourna, puis revint en arrière et lui dit :
– Si jamais tu te souviens de moi, ô tribun, n’oublie point la seule chose que j’aie sollicitée de toi, ce sont des nouvelles de ma mère et de ma sœur.
Il allait s’éloigner, quand Arrius l’arrêta, en lui disant :
– Si tu étais libre, que ferais-tu ?
– Le noble Arrius se raille de moi, répondit Ben-Hur, dont les lèvres tremblaient.
– Non, par les dieux.
– Alors, je vais te le dire. Je me dévouerais tout entier à un unique devoir. Je ne m’accorderais aucun repos avant d’avoir retrouvé ma mère et Tirzah. Mes heures et mes jours seraient consacrés à assurer leur bonheur. Je les servirais mieux que le plus fidèle des esclaves. Elles ont perdu de grands biens, mais je leur en gagnerais de plus grands encore.
Le Romain ne s’attendait pas à cette réponse et pendant un instant il perdit son but de vue, puis, revenant à son idée, il lui dit :
– Je m’adressais à ton ambition. Si ta mère et ta sœur étaient mortes, que ferais-tu ?
Ben-Hur pâlit, on voyait qu’il se livrait une lutte au dedans de lui.
– Tu demandes quelle occupation je choisirais ? dit-il enfin.
– Oui.
– Tribun, je te répondrai en toute sincérité. La nuit qui précéda le jour néfaste dont je t’ai parlé, j’avais obtenu la permission de me faire soldat. Je n’ai pas changé dès lors, et comme dans le monde entier il n’y a qu’une école où l’on apprenne l’art de la guerre, je m’y rendrais.
– Tu veux parler ?
– D’un camp romain.
– Avant tout il te faudrait apprendre le maniement des armes, s’écria Arrius.
Il semblait vouloir en dire davantage, mais il se souvint qu’un maître ne peut jamais se fier à un esclave et qu’il est dangereux de lui donner des conseils, aussi sa voix et ses manières changèrent-elles tout à coup.
– Va-t’en maintenant, reprit-il, et ne te monte pas la tête au sujet de ce qui s’est passé entre nous, peut-être me suis-je simplement joué de toi, ou bien, si tu y penses, fais ton choix entre la renommée d’un gladiateur et la servitude d’un soldat. L’empereur pourrait t’aider à conquérir la première, – comme soldat tu n’arriveras à rien, car tu n’es pas Romain. Va, maintenant.
L’instant d’après, Ben-Hur reprenait sa place sur son banc. La tâche d’un homme lui semble toujours aisée lorsqu’il a le cœur léger. Juda trouvait sa rame moins lourde depuis que l’espérance chantait à ses oreilles comme un oiseau. Si faible que fût ce chant, il l’entendait pourtant et chaque fois que sa mémoire lui rappelait ces paroles du tribun « peut-être que je me joue de toi, » il les chassait bien vite, tandis qu’il se répétait sans cesse que quelqu’un l’avait appelé par son nom et savait maintenant son histoire. Cela suffisait à son âme affamée et il se disait qu’il devait en résulter pour lui quelque chose d’heureux. Le mince rayon de lumière tombant sur lui lui semblait être devenu soudain très brillant, et sa prière montait plus fervente vers le ciel.
CHAPITRE XII
Les cent galères se rejoignirent dans la baie d’Antemone, à l’orient de la ville de Cythère, et le tribun consacra une
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