Ben-Hur
la bergerie, s’écria Ilderim en frappant dans ses mains, puis il ajouta, en se tournant vers un serviteur :
– Va chercher l’étranger qui est dans la tente réservée à mes hôtes ; dis-lui que je suis revenu accompagné d’un ami et que s’il veut participer à notre repas, il sera suffisant pour rassasier trois hommes.
– Tu es mon hôte, dit Ilderim à Ben-Hur, et bien que tu aies bu de ma cervoise et que tu sois sur le point de goûter à mon sel, je ne suis pas moins en droit de te poser cette question : Qui es-tu ?
– Cheik Ilderim, répondit Ben-Hur, ta question est naturelle, loin de moi la pensée de m’en offenser ; mais, dis-moi, je te prie, s’il ne s’est point trouvé de moment dans ta vie où tu aurais commis un crime envers toi-même, en répondant à une semblable demande.
– Oui, par la splendeur de Salomon ! Il serait parfois aussi lâche de se trahir soi-même que de trahir une tribu.
– Je te remercie, bon cheik ! s’écria Ben-Hur. Jamais réponse ne t’honora davantage. Je sais maintenant que ton unique souci est de t’assurer que je suis capable de remplir l’emploi que je te prie de me confier et qu’il t’importe peu de connaître ma pauvre histoire. Je te dirai, cependant, que je ne suis point Romain, comme le nom sous lequel je t’ai été présenté pourrait te le faire croire.
Les yeux d’Ilderim jetèrent un éclair.
– Je te dirai encore que je suis Juif, de la tribu de Juda, continua Ben-Hur, et mieux que cela, cheik, je suis un Israélite qui a, pour haïr Rome, des motifs bien plus graves que les tiens.
Ilderim écoutait sans mot dire et Ben-Hur reprit :
– Je te jure, par l’alliance que le Seigneur a traitée avec mes pères, que si tu me fournis, selon ma requête, le moyen d’accomplir ma vengeance, je t’abandonnerai l’argent et la gloire dus au vainqueur de la course.
Ilderim ouvrit les yeux et se redressa. Une profonde satisfaction se lisait sur son visage.
– C’est assez ! s’écria-t-il. Si le mensonge est à la racine de ta langue, tu auras trompé Salomon lui-même. Je crois tout ce que tu viens de me dire, mais cela ne m’apprend pas si tu es habile entraîneur. As-tu l’habitude des courses de char ? Sais-tu te faire comprendre des chevaux, sais-tu leur communiquer ta volonté ? Obéissent-ils à ta voix ? Tout cela, mon fils, c’est un don que chacun ne possède pas. J’ai connu un roi qui gouvernait des millions d’hommes, mais n’a jamais obtenu le respect d’un cheval. Comprends-moi bien, – je ne parle pas de ces chevaux qui ne sont que des brutes sans intelligence, esclaves dignes des esclaves qui les conduisent, mais des coursiers nobles comme les miens, mes camarades, mes amis, mes héros !
Il appela un de ses serviteurs et lui commanda de lui amener ses arabes. Cet homme ouvrit un rideau qui partageait la tente en deux et cachait une troupe de chevaux ; ils semblaient hésiter comme s’ils n’eussent pas été certains d’être invités.
– Venez, leur dit Ilderim. Pourquoi restez-vous en arrière ? Tout ce que je possède n’est-il pas à vous ? Venez, vous dis-je.
Ils s’approchèrent lentement et l’un deux tourna vers Ben-Hur sa tête exquise. Ses yeux de gazelle, ses narines dilatées semblaient dire clairement : « Qui donc es-tu ? » Le jeune homme reconnut un des admirables étalons qu’il avait admirés sur le champ de course, et lui tendit sa main ouverte à lécher.
– Il se trouvera des blasphémateurs pour te dire que les chevaux sont nés dans les pâturages de la Perse ! s’écria Ilderim d’un air indigné. Ne le crois pas ! Dieu donna au premier Arabe une plaine sablonneuse, d’où s’élevaient quelques montagnes arides et où se rencontraient çà et là des sources d’eau amère, en lui disant : « Voilà ton pays. » Le pauvre homme se plaignit au Tout-Puissant qui en eut pitié et lui dit encore : « Réjouis-toi, car tu seras deux fois béni entre les hommes. » L’Arabe l’entendit et après l’avoir remercié, il se mit à la recherche des bénédictions promises. Il fit d’abord le tour des frontières de son royaume et ne trouva rien, puis il traça un sentier dans le désert et s’y enfonça toujours plus avant ; enfin, au cœur de cette grande étendue désolée, il trouva une oasis de verdure, belle à voir, et voici, dans l’oasis paissaient deux troupeaux, l’un de
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