Ben-Hur
d’Arrius gagnera la course.
– Comment le sais-tu ?
– J’en juge par ce qu’il dit et, surtout, parce que j’ai pu me convaincre de son intelligence.
– Mais son désir de vengeance sera-t-il assouvi quand il aura humilié un seul individu ? Ne rêve-t-il pas de l’étendre à toute une race ? Est-ce une fantaisie d’enfant ou la détermination irrévocable d’un homme fait ? La soif de la vengeance est une passion qui ronge le cœur, en as-tu trouvé trace en lui ?
– L’intensité de sa haine est une des raisons que j’ai de le croire Juif. Bien qu’il fût sur ses gardes, je l’ai vue briller dans ses yeux la première fois, lorsqu’il s’informait des dispositions d’Ilderim envers les Romains, puis encore lorsque je lui racontai l’histoire du cheik et des mages et que je lui répétai la question :
– Où est le roi des Juifs, qui est né ?
Simonide se pencha en avant pour mieux écouter, tandis que Malluch continuait :
– Je lui racontai ce qu’Ilderim pensait de ce mystère et comment il espérait que ce roi mettrait un terme à la puissance de Rome. Il rougit en m’entendant et me dit que, tant que Rome durerait, un Hérode seul pourrait régner sur les Juifs.
– Qu’entendait-il par là ?
– Qu’avant que quelqu’un d’autre pût exercer la royauté, il faudrait que l’empire s’effondrât.
– C’est assez, dit Simonide. Va maintenant prendre ton repas et prépare-toi à retourner au jardin des Palmes, tu assisteras ce jeune homme jusqu’au jour de l’épreuve finale. Viens vers moi demain avant de partir, je te donnerai une lettre pour Ilderim ; puis il ajouta à voix basse : Je me déciderai peut-être à me rendre au cirque.
Quand Malluch se fut retiré, Simonide repoussa le plateau sur lequel se trouvait son souper et fit signe à Esther d’approcher ; aussitôt la jeune fille reprit sa place favorite, sur le bras du fauteuil de l’invalide.
– Dieu est bon pour moi, lui dit-il, oui, sa bonté est grande en vérité. Ses voies sont enveloppées de mystère, mais parfois il soulève le voile et nous permet de deviner ses desseins. Je suis vieux, mon enfant, bientôt il me faudra partir, mais aujourd’hui, à la douzième heure, il plaît au Seigneur de ranimer mon espoir, prêt à s’éteindre. J’entrevois l’approche d’un grand événement, qui sera pour l’univers entier l’aurore d’un jour nouveau, et je comprends maintenant la raison d’être des grandes richesses que j’ai acquises et le but qui leur a été assigné. Vraiment, ma fille, je reprends goût à la vie.
Esther se serra contre lui et il continua :
– Le roi qui est né doit être près d’atteindre, à l’heure qu’il est, le milieu de la moyenne de la vie accordée aux humains. Balthasar dit qu’il n’était qu’un enfant sur les genoux de sa mère, lorsqu’il le vit, et Ilderim soutient qu’il y a eu au mois de décembre dernier vingt-sept ans que l’Égyptien et ses compagnons sont venus lui demander de les cacher dans sa tente, pour les soustraire à la colère d’Hérode. Son avènement ne peut donc être différé plus longtemps, – il aura lieu cette nuit, peut-être, ou demain. Saints pères d’Israël, quelle joie n’y a-t-il pas déjà dans cette seule pensée ! Je crois ouïr le craquement de murailles qui s’écroulent et les clameurs d’un monde nouveau qui s’élève au-dessus des ruines de l’ancien. La terre s’ouvre pour engloutir Rome, l’humanité entière rit et pousse des cris de joie parce qu’elle n’est plus !
Entendis-tu jamais chose pareille, Esther ? Moi, l’homme d’affaires, je me sens devenir poète, comme Myriam et David. Je voudrais joindre ma voix à celle de la multitude qui chantera, en s’accompagnant de la cymbale, devant le trône nouvellement établi du souverain. – Mais ce souverain, ma fille, aura besoin d’argent et de soldats, l’enfant né d’une femme sera un homme comme nous. Non seulement il lui faudra de l’argent, mais encore des économes, des intendants, des chefs pour diriger son armée. Devines-tu ma pensée, Esther ? Ne pressens-tu pas la voie qui s’ouvre devant mes pas et devant ceux de notre jeune maître ? La voie où nous trouverons la vengeance et la gloire, – celle aussi où la fille de ta mère trouvera le bonheur !
Elle gardait le silence, et lui se souvint tout à coup qu’une jeune fille ne pouvait
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