Ben-Hur
chargé d’exercer la puissance ; il n’y a pas, sans cela, de réforme possible.
– Ta sagesse est celle de ce monde, bon cheik, répondit gravement Balthasar, tu oublies que c’est justement des errements du monde que nous devons être délivrés. L’ambition d’un roi, c’est de s’assujettir les hommes ; sauver leurs âmes, c’est le désir de Dieu.
Ilderim se taisait, mais ne semblait pas prêt à se rendre ; Ben-Hur reprit la discussion à sa place.
– Père, si tu me permets de t’appeler ainsi, de quoi devais-tu t’informer, en arrivant aux portes de Jérusalem ?
Le cheik lui lança un regard de satisfaction, mais Balthasar répondit tranquillement :
– Je devais demander au peuple où était le roi des Juifs, qui venait de naître.
– Je te crois, ô père, quand tu me racontes des faits ; quand tu m’exposes tes opinions, je ne comprends plus. Je ne conçois pas quelle sorte de roi tu voudrais faire de l’Enfant.
– Mon fils, dit Balthasar, nous avons coutume d’étudier soigneusement ce qui se trouve à nos pieds, et de nous contenter de jeter un coup d’œil aux grandes choses, que nous n’apercevons qu’à distance. Tu ne vois que ce titre de roi des Juifs, mais si tu élèves les yeux jusqu’aux mystères qui se trouvent au delà, cette pierre d’achoppement disparaîtra. Son royaume s’étendra dans le monde entier, et pourtant il ne sera pas de ce monde. Il sera plus vaste que la terre et les mers réunies. Son existence est un fait, aussi bien que notre cœur est une réalité. Il en sera de même du royaume ; nul ne le verra des yeux de sa chair, ce sera un royaume réservé aux âmes.
– Ce que tu dis là, père, est une énigme : pour moi, je n’entendis jamais parler d’un royaume pareil.
– Et moi non plus, dit Ilderim.
– Je ne puis vous en dire davantage, dit Balthasar humblement. Personne ne connaîtra sa vraie nature et ne saura comment on en fait partie, avant que l’Enfant paraisse pour en prendre possession. Il apportera les clefs qui en ouvrent les portes, et il ne les ouvrira que pour ses bien-aimés, au nombre desquels seront tous ceux qui l’aimeront ; le salut sera pour ceux-là seuls.
Il se fit ensuite un long silence, puis Balthasar, jugeant que la conversation était terminée, se leva en disant :
– Bon cheik, dit-il, demain, ou le jour suivant, je me rendrai à la ville pour un peu de temps. Ma fille désire voir les préparatifs de la fête. Je te parlerai plus tard du moment de notre départ ; et toi, mon fils, je te reverrai. Je vous souhaite à tous deux la paix et le repos pour cette nuit.
Le cheik et Ben-Hur s’étaient levés aussi ; ils suivirent l’Égyptien des yeux jusqu’à ce qu’il fût sorti de la tente.
– Cheik Ilderim, dit Ben-Hur, j’ai entendu des choses étranges ce soir. Permets, je te prie, que j’aille encore me promener au bord du lac, afin de les repasser dans mon cœur.
– Va, et dans un moment je te suivrai.
À quelques pas du douar s’élevait un groupe de palmiers, dont l’ombre s’étendait à moitié sur le lac, à moitié sur le rivage. Un rossignol, caché dans l’épaisseur du feuillage, jetait dans l’espace les notes vibrantes de sa chanson d’amour. Ben-Hur s’arrêta pour l’écouter, mais sa pensée, un instant distraite par cette douce musique, revint bientôt à l’étrange histoire de l’Égyptien. La nuit était sereine. Aucun souffle ne ridait la surface de l’eau. Les étoiles resplendissaient d’un éclat sans pareil. L’été régnait en maître sur cette terre d’Orient et Ben-Hur se demandait s’il n’avait pas été transporté, tout à coup, dans les lointaines régions où le Nil prend sa source, et si le miracle dont parlait Balthasar n’allait pas se répéter pour lui. Il le désirait et le craignait tout à la fois ; enfin, son imagination surexcitée se calma, il se ressaisit lui-même et se prit à songer sérieusement aux perspectives nouvelles ouvertes par le récit du mage.
Chaque fois qu’il réfléchissait à la tâche à laquelle il avait consacré sa vie, il devait s’avouer qu’il ne savait absolument pas de quelle manière il pourrait l’accomplir. Lorsqu’il aurait été nommé capitaine, qu’en aurait-il de plus ? Il prétendait faire une révolution, mais pour cela il lui faudrait des adhérents. Naturellement il comptait les trouver parmi ses concitoyens, car tout Israélite
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