Ben-Hur
semblait flotter sur l’eau. Elle devenait plus forte d’instant en instant ; bientôt Ben-Hur put distinguer un bruit de rames, et les paroles d’une ballade grecque, d’une tristesse passionnée. Le bateau passa devant le bouquet des palmiers, puis il disparut dans l’obscurité, et bientôt les dernières notes de la ballade résonnèrent comme un adieu aux oreilles de Ben-Hur.
– C’est la fille de Balthasar, se dit-il. Que son chant était beau, et comme elle est belle elle-même !
Il se rappela ses grands yeux, à demi-voilés par des cils noirs, ses joues ovales, sa splendide carnation, ses lèvres roses, toute la grâce de sa personne, et doucement il répéta :
– Comme elle est belle !
Au même instant un autre visage charmant, plus enfantin et plus tendre, passa devant ses yeux, comme s’il était sorti du lac.
– Esther ! murmura-t-il en souriant, c’est l’étoile que je désirais.
Il se détourna et reprit lentement le chemin de la tente. Sa vie, jusqu’alors, avait été trop remplie par les chagrins et les pensées de revanche, pour que l’amour y eût sa place. Ceci était-il le prélude d’un changement heureux ? Et s’il en était ainsi, à laquelle des deux jeunes filles qui hantaient son souvenir se donnerait-il ?
Esther lui avait tendu une coupe, l’Égyptienne également, et leurs deux images venaient de lui apparaître en même temps sous les palmiers. Laquelle aimer ? dit-il.
CHAPITRE XXIV
Tandis que Ben-Hur rêvait sous les palmiers du cheik Ilderim, Messala passait sa soirée au palais du Mont Sulpius, en compagnie de quelques jeunes Romains de qualité.
Ils s’attardèrent si bien à boire et à jouer, que les premiers rayons du soleil, en pénétrant dans la salle où ils se trouvaient, éclairèrent une véritable orgie. La plupart de ces nobles patriciens, plongés dans le sommeil de l’ivresse, étaient étendus sur les divans où des esclaves les avaient jetés sans cérémonie.
Messala, cependant, n’était pas parmi eux. À la pointe du jour il s’était levé et, après avoir jeté loin de lui sa couronne de feuillage, il avait quitté la salle en drapant sa robe autour de lui. Cicéron ne serait pas sorti du sénat avec plus de gravité, après une nuit passée à débattre d’importantes questions.
Trois heures plus tard, deux courriers entraient dans sa chambre et chacun d’eux recevait de sa main un pli cacheté, destiné à Valère Gratien, le procurateur, qui résidait toujours à Césarée. L’un des courriers devait s’y rendre par mer, l’autre par terre, et tous deux reçurent ordre de faire diligence. Il fallait vraiment que cette lettre fût bien importante pour que Messala en envoyât ainsi deux copies, par des chemins différents.
« J’ai à t’apprendre d’étonnantes nouvelles, écrivait-il, des nouvelles qui, bien qu’elles ne soient guère encore que des conjectures, ne justifieront pas moins à tes yeux, je n’en doute pas, la hâte que je mets à te les communiquer…
» Permets, avant tout, que je rafraîchisse un peu tes souvenirs. Rappelle-toi une famille qui vivait, il y a bien des années, à Jérusalem, l’ancienne et opulente famille des princes Hur. Si ta mémoire était en défaut sur ce point-là, je crois que certaine cicatrice te rappellerait une scène dans la rue de Jérusalem.
» Mais poursuivons ! Afin de châtier duement l’attentat à tes jours – fassent les dieux que, pour le repos de nos consciences, on ne prouve jamais qu’il s’agissait d’un accident ! – la famille fut arrêtée, ses membres dispersés et ses propriétés confisquées. Cette action fut approuvée par César, qui était juste et avisé – puissent des fleurs couvrir éternellement son autel ! – il n’y a donc pas honte à mentionner les sommes qui nous furent allouées. Pour ce qui me concerne, je ne cesserai d’être reconnaissant de la part que tu m’as faite, – du moins tant que j’en jouirai.
» Je mentionne, toujours en procédant par ordre, le fait que tu disposas des différents membres de la famille des Hur, d’après un plan que nous avions conçu en même temps et qui semblait devoir servir à nos fins, lesquelles étaient de les réduire au silence et de les livrer à une mort inévitable, quoique naturelle. Tu te souviendras, certainement, de ce que tu fis de la mère et de la sœur du malfaiteur, aussi je ne résiste pas au désir de te demander si elles
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