Berlin 36
une arrogance insupportable et prônait des idées qu’il avait du mal à partager : cet ancien athlète devenu entrepreneur à Chicago militait pour l’amateurisme à l’heure où les sportifs s’engageaient de plus en plus dans la voie du professionnalisme, raillait la présence des femmes aux jeux Olympiques et critiquait volontiers les Juifs qu’il considérait comme une « minorité organisée » qui avait recours à des pratiques « terroristes » pour empêcher la participation des Etats-Unis aux JO de Berlin. « Il se prend pour le pape et nous traite comme des hérétiques », se plaignaient ses proches collaborateurs, excédés par sa rigueur et son puritanisme.
— Avery Brundage est libre de défendre ses idées et je suis libre de défendre les miennes…
— Il faudrait que les Allemands nous fournissent des assurances concernant les sportifs juifs, déclara alors un autre délégué américain, le général Charles Sherrill. La presse américaine mène campagne en faveur du boycott. Nous devons, pour l’apaiser, lui fournir des preuves tangibles… Autrement, il serait préférable que la ville de Berlin retire sa candidature !
Visiblement embarrassé, le comte porta à ses lèvres le verre d’eau posé devant lui. Que faire ? Bien qu’il n’ignorât pas ce qui se passait en Allemagne, il ne souhaitait en aucun cas torpiller les Jeux. D’un air grave, il se tourna vers le Dr Lewald :
— Lors de notre 31 e session à Vienne, vous nous aviez donné l’engagement que la charte relative aux règles de qualification serait respectée, lui déclara-t-il en levant l’index. Je vous demande de faire immédiatement une déclaration pour confirmer cet engagement.
Le président du Comité organisateur des Jeux de Berlin ne se laissa pas démonter par cette requête inattendue.
— Je peux vous confirmer que l’engagement pris à Vienne n’est pas seulement tenu, mais que nous avons l’intention d’aller plus loin, répondit-il d’un ton calme. Toutes les mesures nécessaires pour que les non-Aryens puissent s’entraîner et participer aux Jeux, et pour permettre aux athlètes juifs inconnus de se révéler ont été prises. Les craintes que des démonstrations puissent se produire contre les athlètes de confession israélite sont dénuées de tout fondement quand on se réfère à l’esprit sportif et à la discipline du peuple allemand.
— Je dois ajouter, renchérit Baillet-Latour, que les régimes politiques hostiles à l’Allemagne prennent les jeux Olympiques pour prétexte afin de déclencher leurs attaques. De tels procédés sont inacceptables !
On applaudit au fond de la salle. Le comité délibéra et rendit publique une déclaration officielle affirmant que l’aspect politique de la question n’était pas de son ressort et que « les preuves apportées par les organisateurs établissent d’une façon absolue que tout a été mis en oeuvre pour placer les athlètes allemands sur un pied de parfaite égalité ».
— C’est une honte ! protesta Jahncke en frappant du poing sur la table. La participation à l’olympiade de Berlin signifie l’approbation de la sordide exploitation des Jeux par les nazis ! Même si la propagande allemande soutient le contraire, les seules disciplines sportives pratiquées actuellement par le III e Reich consistent à démolir les magasins, à parader dans les rues, à tabasser des innocents et à les parquer dans des camps de concentration !
— Cela suffit, monsieur Jahncke ! répliqua le comte de Baillet-Latour d’un ton sec. La séance est levée !
Quelques mois plus tard, Ernest Lee Jahncke était évincé du CIO et remplacé par Avery Brundage.
8
Où l’on voit Leni Riefenstahl
se faire tripoter en regardant Madame Butterfly
Leni Riefenstahl sortit du taxi et gravit à la hâte les marches de l’Opéra municipal de Berlin. Selon son habitude, elle était en retard. La veille, elle avait reçu une invitation personnelle de Joseph Goebbels à assister à une représentation de Madame Butterfly , de Puccini. Bien qu’elle détestât le ministre de la Propagande qui, en sa qualité de patron du cinéma allemand, contrariait tous ses projets, et qu’elle fût encore mal remise de sa fracture au bras droit due à un accident de ski, elle l’avait acceptée : on ne refusait rien au Dr Goebbels. Pourtant, elle s’était longuement interrogée sur les raisons de cette invitation. Avait-il
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