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Berlin 36

Berlin 36

Titel: Berlin 36 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexandre Najjar
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pour une poignée de dollars.
    — Il ne nous reste plus rien pour fêter ça, soupira Jesse à la fin de la cérémonie.
    — J’ai de quoi vous offrir un hot-dog ! répliqua Albritton en vidant ses poches.
    Au sortir du tribunal, ils s’arrêtèrent dans un pub et commandèrent un hot-dog qu’ils partagèrent en trois.
    — Nous ne pouvons pas nous attarder, murmura Ruth d’un ton suppliant.
    — Ne t’en fais pas, nous serons rentrés avant la nuit, dit Jesse. Nous te déposerons à la maison avant d’aller rendre la bagnole à l’agence.
    — Et comment rentreras-tu chez toi ?
    — En courant !
    — Quinze kilomètres ?
    — Et alors ? Que ne ferais-je pour toi !
    Ruth lui caressa le visage du revers de la main. Elle s’était embarquée, naïvement, dans une aventure qui la dépassait et qui bouleversait déjà sa vie : plus question d’aller à l’école ; ses rapports avec ses parents allaient forcément s’envenimer ; elle ne verrait pas son époux aussi souvent qu’elle le souhaiterait ; elle devrait consacrer le plus clair de son temps à son bébé. Mais elle était prête à assumer tous ces sacrifices parce qu’elle aimait Jesse de toutes les fibres de son être, malgré ses défauts, malgré son appétit insatiable pour les femmes – cette maladie dont certains hommes ne guérissent jamais –, et parce qu’il ne peut y avoir d’amour sans sacrifices.
    — Quel nom donnerez-vous à l’enfant ? demanda Dave en essuyant la moutarde qui dégoulinait sur son menton.
    — Henry, comme mon père, si c’est un garçon, fit Jesse sans hésiter.
    — Et si c’est une fille ?
    — Gloria, répondit Ruth.
    *
    Emma Owens accueillit la nouvelle avec consternation. Elle enleva son tablier, ôta ses lunettes et se prit la tête entre les mains.
    — Tu es inconscient, mon pauvre Jesse, murmura-t-elle après un moment de réflexion. Comment feras-tu donc pour subvenir à vos besoins ?
    — Je continuerai à étudier pour aller au colledge , répliqua-t-il avec une fausse assurance. Et puis, j’ai beaucoup progressé en athlétisme…
    La mère poussa un soupir de lassitude.
    — Je sais, mon fils, que tes performances s’améliorent et je suis fière de toi, crois-le bien. Mais je me demande où tout cela peut te mener !
    Jesse Owens esquissa un sourire malicieux.
    — Aux jeux Olympiques, Momma , aux jeux Olympiques !

10
    Où l’on voit Jesse Owens
 s’inscrire à l’université de l’Ohio
    — Il est temps de changer d’air, décréta David Albritton. Toutes les universités du pays te convoitent et te proposent des bourses d’études…
    — Tu as raison, Dave, répondit Jesse Owens. Mais tu oublies Charles Riley. Il ne peut pas me suivre partout !
    Assis sur un banc, sous un immense peuplier, les deux amis devisaient en fumant une cigarette.
    — Lui-même t’encourage à aller de l’avant. Tu ne peux tout de même pas continuer à végéter à la Cleveland High School !
    — Pourquoi pas ? Nous avons obtenu d’excellents résultats à Cleveland. Tu oublies notre victoire éclatante aux championnats interscolaires de 1933 ?
    — Oui, mais lors des qualifications aux jeux Olympiques de Los Angeles, tu as été battu par Ralph Metcalfe qui bénéficie à l’université de Marquette d’un grand nombre de facilités dont tu es privé ! Nous devons mettre toutes les chances de notre côté si nous voulons aller loin dans la compétition…
    Jesse baissa la tête et réfléchit un long moment.
    — Tu as raison, admit-il enfin, le coeur gros. Nous ferions mieux de partir.
    Il ferma les yeux et revit son père, Henry, au moment de quitter Oakville. « Tout départ est déchirure, mais aussi espérance », pensa-t-il en se mordant les lèvres.
    Le soir même, Jesse se rendit chez son entraîneur. Il le trouva dans le garage de sa maison, en train de réparer sa vieille Ford.
    — Elle marche toujours ? lui demanda-t-il en riant.
    — Ouais, marmonna Charles Riley. Mais pour combien de temps encore, je ne sais pas ! Les pièces de rechange se font rares, je la rafistole du mieux que je peux, mais un jour, elle va rendre l’âme, c’est sûr !
    — J’espère qu’elle ne te lâchera pas au milieu d’une autoroute !
    — Je l’espère aussi, soupira-t-il en essuyant ses mains couvertes de graisse sur sa salopette bleue.
    Jesse secoua la tête. L’homme était si fidèle en amitié qu’il n’arrivait même pas à se séparer de son

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