Berlin 36
correspondant itinérant, ce journal est devenu le meilleur porte-parole des nazis ! Rothermere y a même publié un article intitulé « Hurrah for the Blackshirts ! » où il rend hommage à Oswald Mosley et à sa BUF 1 qui se veut résolument pronazie !
— Savez-vous que la maîtresse de Mosley, Diana Mitford, se trouve à Berlin ? ricana Guido Enderis. Elle est venue dans l’espoir de réunir des fonds pour la BUF 2 . Sa soeur, Unity Valkyrie Mitford, une beauté sulfureuse, a été vue en train de déjeuner en tête à tête avec le Führer. Il paraît qu’elle est folle de lui !
— Au lit, avec elle, c’est la chevauchée de Valkyrie ! gloussa Pierre Huss qui ne manquait aucune occasion de faire des calembours, fussent-ils de mauvais goût.
Les journalistes présents pouffèrent dans leurs verres et, d’un ton badin, se mirent à commenter les précieuses informations de leur collègue. Seul, Ebbutt demeura de marbre.
— Je suis découragé, confia-t-il à Paul Gallico. Faut-il que je démissionne ?
— Sois patient, lui conseilla son ami. Si tu t’en allais, tu donnerais raison à tes détracteurs. La politique de la chaise vide ne pénalise que celui qui s’exclut !
Claire commanda le plat du jour – canard rôti au chou rouge et aux boulettes, une spécialité locale baptisée Brandenburger Landente – et une bouteille de vin Pfälzer. L’ayant entendue s’exprimer avec un accent étranger, William Shirer s’approcha d’elle, la pipe à la main.
— Vous êtes française ? lui demanda-t-il courtoisement.
— Oui, répondit-elle en lui tendant sa carte de visite.
— Enchanté. Je m’appelle…
— Je vous connais déjà, monsieur Shirer. Vous êtes célèbre ici !
— Mes hommages, mademoiselle. Vous me flattez d’autant plus que vous êtes ravissante. Un écrivain bien de chez vous, Victor Hugo, disait d’une jolie femme : « Elle n’est pas belle, elle est pire ! » Ce constat pourrait fort bien s’appliquer à vous…
Claire rougit. Elle se sentait toujours déstabilisée quand un homme la complimentait. Elle se savait séduisante, avec sa taille fine, ses longs cheveux blonds ondulés – bien que la mode fût aux cheveux courts –, ses yeux bleus – hérités de sa mère –, son nez bien dessiné et sa bouche aux lèvres sensuelles, mais cette conscience, loin de lui donner de l’assurance, la rendait étonnamment plus fragile.
— J’ai travaillé pour le Paris Tribune , l’édition française du Chicago Tribune , puis pour l’édition française du New York Herald : je connais bien votre pays, reprit Shirer de sa voix flûtée.
— Depuis quand êtes-vous à Berlin ?
— Depuis 1934, soupira-t-il en ôtant ses lunettes. A vrai dire, je passe mon temps à couvrir les meetings d’Adolf Hitler et à me défendre contre les accusations lancées contre moi.
— Qui vous accuse ?
— Les autorités nazies ! Au moment des Jeux d’hiver de Garmisch-Partenkirchen, j’ai écrit plusieurs articles qui ont déplu à la censure. Une campagne de dénigrement a alors été orchestrée contre moi dans la presse. On m’a traité de « sale Juif » et accusé de torpiller les Jeux d’hiver. J’ai dû me rendre personnellement auprès de Wilfrid Bade, le directeur du service de la presse étrangère au ministère de la Propagande, pour remettre les pendules à l’heure !
Claire fit la moue.
— A ce point-là !
— Encore heureux qu’ils ne m’aient pas chassé du pays comme notre consoeur Dorothy Thompson 3 ou interné dans un camp ! Vous savez, chaque matin, Goebbels envoie aux journaux allemands des ordres leur enjoignant de supprimer telle ou telle vérité pour la remplacer par un mensonge. La liberté de la presse étrangère le dérange. Nous sommes, pour ainsi dire, en résidence surveillée…
— Logez-vous à l’hôtel ?
— Non, lui répondit-il en triturant ses moustaches. Je loue un appartement, situé dans le quartier de Tempelhof, au capitaine Koehl, un as de l’aviation, vétéran de la Grande Guerre. On l’a chassé de la Lufthansa parce qu’il ne coopérait pas avec les nazis. Il a préféré quitter Berlin pour se retirer dans sa petite ferme au sud du pays. Il y en a peu comme lui…
— Mais il y en a encore, Dieu merci ! Voyez cette nageuse autrichienne, Judith Deutsch. Elle a eu le culot d’écrire à son Comité olympique pour l’informer qu’en tant que juive, elle ne
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