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Berlin 36

Berlin 36

Titel: Berlin 36 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexandre Najjar
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participerait pas aux jeux Olympiques parce que sa conscience le lui interdisait !
    — Adopter une telle attitude au risque de mettre une croix sur toute sa carrière sportive, j’appelle ça de l’audace ! Quel âge a-t-elle, déjà ?
    — Dix-sept ans à peine !
    William Shirer secoua la tête, admiratif. Il tira sur sa pipe, puis déclara :
    — Je croyais que les Jeux de Berlin nous permettraient de nous évader de la politique. Or, rien ne sera plus politique que ces Jeux !
     
    Claire finit son repas, régla l’addition, salua ses confrères et sortit à la hâte. L’ambiance enfumée et bavarde de La Taverne ne lui convenait guère : elle préférait les endroits plus distrayants où l’on pouvait se relaxer après une journée de labeur. Sans doute les journalistes aimaient-ils se retrouver là « entre eux » pour ne pas se sentir dépaysés, mais elle n’éprouvait nullement ce besoin. Elle ne pensait d’ailleurs pas que la fréquentation de ses confrères fût la meilleure façon de collecter des informations : il valait mieux s’immerger dans la société berlinoise pour tenter de comprendre les aspirations et les frustrations du peuple allemand plutôt que d’essayer de « cuisiner » un journaliste concurrent autour d’une bouteille de scotch.
    Comme elle n’avait pas sommeil, Claire flâna un moment dans l’artère commerçante de Tauentzienstrasse, déserte à cette heure tardive, et se mit à contempler les vitrines. Elle les trouva mal décorées et se dit que Berlin, décidément, avait perdu le goût des belles choses. Au fond d’une impasse, elle avisa un café-concert. L’endroit jouxtait une auberge de jeunesse et son enseigne lumineuse faisait clignoter un nom qui ne lui était pas étranger : « Quasimodo ». Intriguée, elle poussa la porte de l’établissement et pénétra dans une vaste salle meublée de tables rondes et de chaises en cuir. L’ambiance était intime et chaleureuse. Sur les murs, des affiches de chanteurs et, sur l’estrade, non loin du bar, un piano droit laqué noir portant la marque Steingraeber & Söhne.
    — C’est fermé ? demanda-t-elle au barman, un rouquin ventripotent dont les gros bras nus portaient des tatouages.
    — Non, le spectacle commence dans une demi-heure. Prenez place, je vous prie.
    — J’aime bien cet endroit, observa-t-elle en s’asseyant.
    — J’en suis le propriétaire. Je m’appelle Helmut, pour vous servir !
    Claire le gratifia d’un sourire et commanda une Berliner Weisse, une bière blanche acidulée et pétillante servie mit Schuss avec un doigt de sirop d’aspérule pour l’adoucir.
    — C’est la première fois que vous venez ici ?
    Elle se retourna. L’homme qui lui avait adressé la parole était séduisant bien qu’il fût mal rasé et bizarrement accoutré – chapeau mou, chemise jaune, gilet noir. Ses cheveux bruns étaient longs et tombaient en cascade sur ses épaules tels ceux d’un mousquetaire, et ses yeux couleur de miel pétillaient d’intelligence. Quel âge avait-il ? Trente ans – cinq de moins qu’elle –, peut-être.
    — Oui, répondit-elle en baissant les yeux.
    — Vous êtes française ?
    — On ne peut rien vous cacher !
    — Mon nom est Oskar Widmer, fit-il en lui baisant délicatement la main. Je suis le pianiste de cet établissement.
    — Je m’appelle Claire. Etes-vous de Berlin même ?
    — Oui, je suis berlinois et fier de l’être !
    — Mon père est de Paris, ma mère de Berlin.
    — Nous voilà donc cousins !
    Claire éclata de rire. Le « mousquetaire » avait une conception très élastique de l’idée de famille.
    — C’est drôle, poursuivit-elle. Je croyais tout savoir de cette ville, mais j’ignorais l’existence de cet endroit. Il faut dire qu’il n’est pas facile à trouver !
    — Tant mieux ! Etre discret a ses avantages…
    — Pourquoi donc ? questionna-t-elle en fronçant les sourcils. N’avez-vous pas intérêt à avoir pignon sur rue ?
    Le jeune homme hésita un moment, glissa une cigarette entre ses lèvres, l’alluma, puis, se décidant, déclara à mi-voix :
    — Ici, on aime bien le jazz.
    — Et alors ? Pourquoi se cacher ?
    — Vous semblez oublier que les nazis interdisent le jazz. Ils considèrent ce genre comme un héritage de la « sous-culture noire » et comme une entartete Musik , une musique « décadente »…
    Claire grimaça. Elle n’ignorait pas que les nazis

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