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Berlin 36

Berlin 36

Titel: Berlin 36 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alexandre Najjar
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il dégageait une impression de puissance extraordinaire. Il répondit volontiers aux questions de la Française et l’informa qu’il étudiait à l’université de Pittsburgh, en Pennsylvanie, et qu’il se sentait en forme pour remporter l’épreuve du 800 mètres.
    Après les trois compères, Claire interrogea Jack Urbu.
    — Comment se passent les relations entre Noirs et Blancs au sein de l’équipe ?
    —  No problem ! Mais pendant les repas, ils font bande à part. Seuls Jesse Owens et Lu Walle mangent à la table des Blancs…
    — Que pensez-vous de leur participation aux Jeux ?
    — Il est vrai que les Blancs et les Noirs ne vivent pas en parfaite intelligence chez nous. Mais quand il s’agit de sport, nous n’hésitons pas à faire appel aux Noirs pour rehausser le prestige des Etats-Unis…
    C’était la réponse que Claire attendait. Elle contre-attaqua :
    — Justement. Trouvez-vous normal de les traiter comme des mercenaires ?
    Jack esquissa un sourire gêné.
    — Détrompez-vous, madame. Les Noirs sont aussi fiers que nous, sinon plus, de représenter leur pays. Ils sont, pour ainsi dire, notre cavalerie. A l’heure du danger, nous faisons appel à eux et ils répondent à notre appel !
    L’image plut à Claire, encore que la nuance entre mercenaires et cavalerie ne lui parût pas très probante. Elle prit congé et, de retour chez sa mère, rédigea sans tarder son article. Dès qu’elle l’eut achevé, elle s’interrogea : quel titre lui donner ? Elle n’hésita pas longtemps : « La cavalerie noire » !

5
    Où l’on voit Joseph Goebbels
 dans la situation de l’arroseur arrosé
    Joseph Goebbels pénétra dans le salon en boitant et s’affala dans son fauteuil. Perplexe, il se prit la tête entre les mains. Ce qui le tracassait, c’était moins le déroulement des Jeux – la cérémonie d’ouverture avait été une belle victoire pour l’image de l’Allemagne et le Führer lui-même, qu’il avait rencontré à la Chancellerie, l’en avait chaudement félicité – que Magda, sa femme. Les rumeurs la concernant s’amplifiaient. On lui avait d’abord prêté une relation avec Hitler ; certaines mauvaises langues avaient même prétendu que leur premier enfant était en réalité celui du Führer. Mais cette histoire loufoque n’avait convaincu que les imbéciles. En revanche, les ragots colportés au sujet de sa liaison avec Lüdecke 1 paraissaient plus sérieux. S’ils s’avéraient exacts, comment réagir ? Et d’abord, pourquoi allait-elle chercher ailleurs ? Elle n’était sans doute pas dupe de ses infidélités permanentes. Avait-elle voulu se venger, exciter sa jalousie pour le ramener dans le droit chemin ? Au fond, il adorait Magda. Elle était belle, intelligente, raffinée, différente, très différente d’une Edda Mussolini, de ces femmes artificielles et outrageusement maquillées qui, au vu de leur comportement, n’étaient pas capables de donner des enfants sains à la nation. A vrai dire, sa vie n’avait pas été simple. Fille d’un ingénieur et d’une femme de ménage, elle n’avait pas été reconnue par son père biologique et avait vécu avec sa mère et le mari de celle-ci, un commerçant juif nommé Richard Friedländer. Très tôt, elle était tombée amoureuse d’un jeune sioniste nommé Victor Arlosoroff, qui lui avait appris l’hébreu et l’avait accueillie au sein du groupe Tikwath Zion. Mariée à l’industriel Günther Quandt, de vingt ans son aîné, elle avait renoncé au nom de Friedländer à cause de ses connotations juives et vécu dans une cage dorée jusqu’à la mort de son fils aîné, des suites d’une erreur médicale, et ses retrouvailles avec Victor, son premier amour. Chassée par son mari, elle avait adhéré au NSDAP 2 où elle avait fait la connaissance de Goebbels. Fascinée par son talent oratoire, elle avait répondu à ses avances et avait fini par l’épouser en présence d’Adolf Hitler lui-même qui voyait en elle l’incarnation de l’Aryenne parfaite. « Elle est charmante, c’est la meilleure femme que tu pouvais trouver », répétait le Führer à son ministre quand ils se retrouvaient en tête à tête et qu’il lui parlait comme à un vieil ami – ou à un fils. Comment ne pas lui donner raison ?
     
    La porte d’entrée s’ouvrit brusquement. Magda pénétra dans le vestibule, enleva son chapeau et dégrafa sa cape.
    — Tu as vu l’heure qu’il est ?

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