Berlin 36
soutenir une telle insanité et ne pas voir le reste, tout le reste ? Huit jours après la fin des Jeux, le Führer avait porté à deux ans la durée du service militaire en Allemagne et transformé le village olympique en caserne. Une fois de plus, la Française se demanda si Pierre de Coubertin avait pleine conscience de ce qu’il avançait ou s’il fallait mettre son radotage sur le compte de la vieillesse. Sans doute n’était-il pas le seul à se fourvoyer : des intellectuels brillants, des personnalités respectables considéraient Hitler comme un bâtisseur, un réformateur soucieux du bien-être de son peuple, un homme de dialogue et de paix !
— L’attitude de votre journal ne me surprend guère, ajouta-t-il d’un ton amer. Les Français sont seuls à jouer les Cassandre. Ils ont tort de ne pas comprendre ou de ne pas vouloir comprendre. Depuis que j’ai organisé le « Congrès pour le rétablissement des jeux Olympiques », qui s’est réuni à la Sorbonne, à Paris, en 1894, les Français n’ont jamais rien compris à ma pensée, n’ont jamais su ce qu’était l’olympisme et, consciemment ou non, ont toujours travaillé contre la réussite des Jeux.
— On vous reproche de parler des Jeux de Berlin sans y avoir assisté, objecta la journaliste.
— Il est en effet exact que je ne me suis rendu ni aux Etats-Unis ni en Allemagne. Mais je ne me désintéresse pas pour autant de la croissance de mon « enfant » ! J’ai voulu tout ce qui s’est passé jusqu’ici, j’ai désiré ce néopaganisme. Que reproche-t-on aux Jeux de Berlin ? D’avoir servi de prétexte à une manifestation de propagande politique, d’avoir été entourés de trop de cérémonies et festivités extra-sportives ? Et alors ? Techniquement, ces Jeux ont été une réussite, c’est l’essentiel. Les jeux Olympiques sont une compétition, rude, farouche, ne convenant qu’à des êtres rudes et farouches. Les entourer d’une atmosphère débilitante de conformisme sans passion ni excès, c’est leur enlever toute espèce de signification. A Berlin, on a vibré pour une idée que nous n’avons pas à juger, mais qui fut l’excitant que je recherche constamment. Cette glorification du régime nazi a été le choc émotionnel qui a permis le développement des Jeux !
— Si l’on suit votre logique, que devra-t-on inventer à Tokyo pour les prochains Jeux ? demanda la Française d’un ton narquois. Appeler les samouraïs en renfort ?
— Pourquoi pas ? lui répondit-il le plus sérieusement du monde. Qui sait de quelle excitation passionnelle l’Empire nippon saupoudrera ses Jeux ? Y verra-t-on poindre l’esprit héroïque des samouraïs ? Y discernera-t-on l’orgueil d’une race qui ressuscite ou y dénotera-t-on l’emprise de cet impondérable orientalisme si troublant à nos yeux ? Peu importe, pourvu qu’au nom d’une mystique, fût-elle raciale, religieuse, politique ou sportive, on entoure les épreuves d’une fièvre dévorante. Car, c’est cela, les Jeux !
Claire n’insista plus. Elle rangea son stylo et remercia le baron de lui avoir accordé cet entretien.
— Je compte publier vos commentaires dans L’Auto sous forme de droit de réponse. M’y autorisez-vous ?
Pierre de Coubertin eut un geste las.
— Faites ce que vous jugerez convenable. Au point où j’en suis !
Le 26 août 1936, L’Auto publiait un droit de réponse de Pierre de Coubertin comportant toutes les réflexions qu’il avait confiées au journal. Par ironie, Claire l’intitula : « Tout va très bien, monsieur le baron ! »
4
Où l’on voit Hitler consoler sa protégée
Adolf Hitler s’approcha de Leni Riefenstahl et posa une main affectueuse sur son épaule.
— Que se passe-t-il ? Pourquoi pleurez-vous ?
La cinéaste sortit un mouchoir de son sac et essuya une larme.
— Le Dr Goebbels continue à m’humilier, gémit-elle. Maintenant que le tournage est terminé, il veut me retirer le film pour le donner à monter à Hans Weidemann, son adjoint.
— Pour quelle raison ferait-il cela ?
— Il me harcèle sans cesse. C’est un obsédé, un malade. Je préfère ne pas vous parler de ses écarts de conduite…
Le Führer fronça les sourcils. Il savait Goebbels volage et n’ignorait pas sa relation avec l’actrice tchèque Lida Baarova, mais il ne soupçonnait pas qu’il fût suffisamment audacieux pour faire la cour à sa protégée.
— Calmez-vous,
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