Borgia
nuit ?
– Cela vaut mieux… Cela me permettra de rentrer secrètement au palais…
– Eh bien, monsieur le comte, je pense qu’il vaut mieux arriver en plein jour, comme un baron rentrant chez lui, couvert de la poussière du voyage entrepris dans l’intérêt commun…
– Vous avez raison, chevalier… Que ne vous ai-je connu plus tôt !…
Il fut donc résolu qu’on laisserait se reposer les chevaux toute la nuit. Le lendemain, la route fut reprise vers huit heures du matin.
Le pays était accidenté, montagneux ; la route montait entre deux escarpements où elle se trouvait encaissée. Tout à coup, elle déboucha sur un plateau. Le comte Alma fit halte et, étendant le bras vers un amas de maisons blanches qu’on apercevait à une lieue de là, il prononça :
– Monteforte !…
XLI – LA PRINCESSE MANFREDI
À la vue de Monteforte, Ragastens avait pâli. Mis tout à coup en présence de Monteforte, certain de revoir bientôt Primevère, il comprit à cette minute seulement la place énorme que la jeune fille avait prise dans son imagination. Ragastens eut peur.
– Mon existence va se décider aujourd’hui ! songea le chevalier dans un de ces moments de poignante émotion où l’homme le plus fort se sent faible comme un enfant. Son premier regard pour moi sera l’aube d’espérance que je n’ose concevoir ou une condamnation plus terrible que celle dont les Borgia m’ont frappé.
Cependant, son agitation se calma, sa physionomie reprit son air d’insoucieuse audace et lorsque le comte Alma, se tournant vers lui, parut l’interroger du regard, il put répondre sur un ton très naturel :
– Ah ! voilà votre capitale, monsieur le comte… Belle ville ! Je vous félicite…
– Que dites-vous des fortifications ?
– Je dis qu’avec de pareils remparts, on peut tenir un an contre vingt mille hommes.
– Il y a pourtant un point faible…
– Je le vois : le défilé que nous suivons permet d’approcher et de tenter une surprise…
– Oui ! Et c’est par là que César essaya déjà l’assaut.
– Il fut repoussé ?…
– À grand’peine ! répondit le comte avec un soupir… Allons, chevalier, un bon temps de trot et nous entrerons dans Monteforte…
– Où vous serez acclamé, je vous en réponds.
Le comte Alma secoua la tête et, avec la brusquerie des faibles qui prennent une décision, se lança au galop. Ragastens le suivit, notant dans sa tête les passages les plus difficiles du défilé que surplombaient à droite et à gauche d’énormes pans de rochers…
Maintenant, ils entendaient distinctement la rumeur étrange qui montait de la ville, le son des cloches, le bruit des fanfares de trompettes…
– Qu’est-ce que cela signifie ? murmura le comte en pâlissant.
– Nous allons bien voir… Courage, morbleu ! Présentez-vous comme un chef d’armée qui revient d’expédition, et non comme un fuyard repenti !
La molle nature du comte reçut de ces paroles violentes et brutales un coup de fouet.
– Pardieu, gronda-t-il, vous avez raison !
Une minute plus tard, le comte se présenta à la porte de Monteforte où aboutissait le défilé. Les soldats de garde au pont-levis le regardèrent avec stupéfaction. L’officier du poste parut lui-même abasourdi, Ragastens marcha droit sur cet officier.
– Eh bien, monsieur, fit-il, perdez-vous la tête ? Votre maître, Son Altesse le comte Alma, rentre après une dangereuse reconnaissance où il a failli laisser la vie. Qu’attendez-vous pour rendre les honneurs ?…
Ces paroles, qui expliquaient l’absence du comte et étaient un violent reproche à l’attitude de l’officier, firent sur lui l’effet que Ragastens avait escompté.
Persuadé, comme tout le monde, que le comte Alma avait abandonné Monteforte pour fuir à Rome, l’officier n’avait d’abord rien compris au retour imprévu du comte.
– Altesse, balbutia-t-il, pardonnez !… la surprise, la joie… on était si inquiet !…
Et il se hâta de placer en bataille les vingt hommes de garde qu’il commandait.
– Dites-leur un mot ! souffla Ragastens au comte.
– Monsieur, dit le comte à l’officier, je vous pardonne, en raison des bonnes nouvelles que j’apporte. Soldats, j’ai pu reconnaître les forces de l’ennemi, je n’ai voulu laisser ce soin à personne. Courage et confiance ! Nous sommes les plus forts. Nous vaincrons !…
– Vive le comte ! crièrent tout d’une
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