Borgia
voix les soldats.
C’en était fait. Repris d’espoir devant la facilité avec laquelle les choses s’accomplissaient, alors qu’il s’était figuré d’insurmontables obstacles, le comte Alma fit un signe à Ragastens.
– Monsieur, fit celui-ci à l’officier, veuillez faire escorte à Son Altesse jusqu’au palais.
Et, comme l’officier interloqué regardait avec étonnement cet étranger qui donnait des ordres, le comte ajouta :
– Obéissez à mon maître de camp, monsieur.
L’officier salua et se hâta de ranger ses hommes.
– Mon camarade, fit Ragastens en se penchant vers lui, ne bronchez pas jusqu’au palais et suivez bien mes ordres, je réponds de votre fortune…
L’officier eut l’intuition rapide que quelque chose d’anormal se passait et que, par une aveugle obéissance, il pouvait, en effet, assurer sa fortune. Son parti fut pris à l’instant même.
– Vive Son Altesse ! Honneur au comte Alma !…
La petite troupe s’avança vers le palais, déjà escortée de soldats et de gens du peuple en habits de fête, qui tous criaient « Vive le comte ! » sans trop savoir, exactement comme ils eussent, une heure avant, crié : « À mort ! »
En effet, si rapides qu’eussent été ces péripéties, le bruit du retour du comte Alma se répandit avec une foudroyante rapidité. On se transmit de bouche en bouche les paroles qu’il avait prononcées. Le comte venait de reconnaître l’ennemi. Le comte venait de risquer sa vie. Avec la mobilité habituelle à toutes les foules, Monteforte, tout entier dans les rues, acclamait le comte que, dans la matinée, on parlait de pendre.
– Que vous avais-je dit ? murmura Ragastens, rayonnant.
– Vous aviez raison, chevalier… Mais que signifient ces fanfares lointaines, et ces habits de fêtes ?…
À ce moment, le cortège qui s’était formé autour du comte Alma déboucha sur la grande place du palais… Au même instant, par une autre rue, déboucha sur la place un autre cortège plus brillant, plus bruyant. Et tandis qu’on criait « Honneur au seigneur comte ! » dans le premier, une longue acclamation montant du deuxième, parvint aux oreilles du comte et de Ragastens :
– Vive notre chef le prince Manfredi ! Honneur à la princesse Manfredi !
Ragastens se dressa sur ses étriers. À cinquante pas de lui, par delà la foule, par-dessus les bonnets et les écharpes agités frénétiquement, une figure blanche lui apparut dans un somptueux carrosse. Primevère…
Il la vit distinctement. Près d’elle, il vit le prince Manfredi heureux, souriant, saluant… Il comprit !… Cette princesse Manfredi, que la foule saluait de ses vivats, c’était la fille du comte Alma !…
Ragastens sentit un nuage lui passer devant les yeux, et il dut faire un effort pour ne pas tomber… Tout s’écroulait autour de lui. Tout ce qu’il avait fait devenait inutile.
Cependant, l’inévitable arriva. Les deux cortèges se joignirent au pied de l’escalier monumental du palais. Le prince Manfredi avait vu la stupéfaction peinte sur tous les visages des seigneurs qui l’entouraient. Et, au moment, où le comte Alma mit pied à terre devant le palais, il sauta de son carrosse et cria :
– L’événement est trop grave pour être discuté en public. Que le Conseil se réunisse à l’instant !
Puis il se dirigea vers le comte Alma :
– Comte ! dit-il froidement, j’ai fait réunir le Conseil.
– Je vous y suis, prince ! répondit le comte avec une hauteur qui provoqua une vive émotion autour de lui.
Le Conseil était réuni dans la salle des délibérations. Au dehors, la foule attendait, presque silencieuse.
Dans la salle des délibérations avaient pris place autour d’une vaste table : d’abord le prince Manfredi, encore en grand costume de cérémonie, puis le comte Alma, tout poudreux de son voyage, pâle et mordant nerveusement sa moustache ; Valentin Ricardo, maître de la cavalerie des alliés, Trivulce de Piombino avaient été appelés aussi ; Jean Malatesta, Giulio Orsini et Roderigo d’Immola étaient là.
Au moment où le comte Alma pénétra dans la salle des séances, Ragastens, qui l’avait accompagné jusque-là, fit un mouvement pour se retirer. Mais le comte le retint d’un geste.
– N’avez-vous pas entendu tout à l’heure que je vous ai appelé mon maître de camp ? lui dit-il.
– Si fait, monsieur le comte ! répondit Ragastens avec une morne
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